Tour de Bretagne en kayak – 2005

Tour de Bretagne en kayak – 2005

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Tour de Bretagne en Kayak

… Partir par l’ouest, revenir par l’est

… La Bretagne est une île

J.M. Janvier et Josée Conan

Cet article a été publié dans le bulletin CK/mer n°110, pp. 15 à 24. Dans le bulletin, figurent des photos de Jean-Marc Janvier et Josée Conan, et des aquarelles de Josée Conan.


Journal de bord

Jour 1 – Vendredi 24 juin 2005 : « bonne route… »

Cléder, environ 10 milles.

9h30. Nous larguons les amarres dans le petit port de Pempoul, sur une mer plate, avec comme spectateurs quelques pêcheurs locaux ainsi que mon frère et notre vieille maman visiblement émue de voir son fils partir une nouvelle fois sur la mer immense.

Pour commencer, nous faisons route vers Bloscon, le port en eau profonde de Roscoff.

Un brusque renforcement du vent nous surprend. Josée, perturbée par le comportement de son kayak gréé avec la voile bleu azur dite de « beau temps » (trop de vent de travers, bateau trop ardent) choisit de plier sa voile. Immédiatement la différence entre l’absence de sa voile et la présence de la mienne se fait sentir, c’est la démonstration sans appel de l’efficacité du système. Josée ne voulant pas rester à la traîne change de stratégie et hisse sa voile « médium », puis nous repartons à fond.

Le chenal de Batz est embouqué à super grande vitesse grâce au jusant de vive – eau du jour. Dans le dédale des rochers de Santec le courant de marée n’est plus sensible. C’est en face de la jolie entrée de Port Neuf, après Moguériec, que Josée demande à faire escale. Partie trop fatiguée, trop précipitamment aussi, elle a un irrépressible besoin de dormir. Le remède est simple, il faut écouter le message et stopper.

Arrêt dans le petit port de Kervaliou avec seulement 10 petits milles au compteur. Nous avons toujours le phare de l’île de Batz en vue, qu’importe, l’essentiel c’est d’être partis, demain nous serons plus efficaces.

Un inspecteur des affaires maritimes vient voir nos kayaks abandonnés sur la plage avec tout notre barda étalé en vrac. Je m’approche, une petite conversation s’engage :

– C’est à vous ?

– Oui.

– Bien équipés vos kayaks, que faites-vous ?

– Le tour de Bretagne.

L’inspecteur, nullement impressionné, répond :

– Très bien, je vous souhaite une bonne route.

Pendant la sieste de Josée, c’est marée basse. Je m’occupe en pêchant la crevette. Elles sont introuvables dans un premier temps. Finalement je finis par les débusquer en observant la technique d’un ancien qui s’attarde autour des petites mares.

Lionel nous rejoint le soir (quelques minutes de voiture pour 3 heures de pagaie, c’est rude !). Son sens du commerce toujours en éveil, il troque un de nos melons contre une dizaine de petits lieus jaunes fraîchement pêchés par un chasseur sous-marin. L’homme fatigué, après 4 heures passées dans l’eau, avale le melon et Lionel est ravi de déguster des poissons grillés en  contemplant un beau paysage marin rempli de la promesse d’un beau lendemain.

Jour 2 – Samedi 25 juin : Goémoniers du pays Pagan et droit à la bannette.

Kélerdut (île Vierge), environ 24 milles.

Ambiance humide et grisaille dés le matin. Nous bénéficions jusqu’à Plouescat du contre-courant côtier, puis, après Brignogan, le jusant nous pousse allègrement vers l’ouest.

Escale du midi au cœur du pays Pagan, nous découvrons à Ménéham le chantier de restauration d’un village de goémoniers.

Nous y rencontrons Jean Broda, une vieille connaissance kayakiste, devenu membre d’une troupe de comédiens. Ils sont en pleine préparation de leur grand spectacle « son et lumière » qui se déroulera en milieu naturel, intitulé « la fille du goémonier ».

Le discours de Jean est sans équivoque : sa côte est la plus belle et la plus intéressante de toute la Bretagne. Jusqu’à l’île Vierge, la côte du pays Pagan, appelée aussi « côte des naufrageurs », peut rapidement devenir inhospitalière. De nombreuses têtes de roches affleurantes peuvent lever de grosses déferlantes. Naviguer dans ces parages avec du vent frais de nord ouest est une entreprise risquée. Pourtant, par temps maniable comme aujourd’hui, c’est complètement différent. Nous glissons au dessus de grandes et belles étendues de sable couvertes d’eau couleur lagon dans un décor de blocs granitiques sculptés par la mer : c’est de toute beauté. Près de Guissény, le semis de roches forme un labyrinthe particulièrement remarquable.

Bref, notre navigation est variée et agréable, toutefois la fatigue se fait sentir et nous apprécions d’atteindre la cale du petit port de Kélerdut bien abrité en face de l’île Vierge.

C’est la marée montante et avec elle le retour au port des goémoniers des temps modernes. Le travail reste manuel, 5 ou 6 heures sont consacrées à la cueillette du fameux « goémon blanc ». Une journée de travail rapporte en moyenne 50 euros à ces amateurs de sensations humides et d’horizons maritimes.

En ce début de randonnée au long cours, Josée est prudente : elle gère sa fatigue. Dès 21h00 elle réclame le droit de faire « bannette ».

Jour 3 – Dimanche 26 juin : l’hybride du chenal du four et le goéland Janvier.

Porz Illien (Conquet), environ 27 milles.

A 8h00 nous embarquons, cernés par un brouillard épais. Un ancien nous lance « où allez-vous avec vos « pères la vie » » ?

Un pêcheur est fier de nous montrer le « bleu » (homard) découvert dans un casier retrouvé grâce à la technologie de son GPS

C’est un plaisir de traverser sans visibilité l’Aber Wrac’h transformé en labyrinthe d’îles et d’îlots. La mer est haute, nous longeons les dunes de la presqu’île de Sainte Marguerite : de grandes étendues de sable couvertes de peu d’eau offrent une nouvelle fois l’image d’un lagon digne des mers du sud. Nous prolongeons le plaisir de naviguer sur ces eaux translucides en rasant au plus prés toutes ces anses et toutes ces roches.

Le vent se renforce. Avec les voiles « tempêtes » nos kayaks vont très vite sans effort. Sous la grisaille environnante, la côte paraît rude, inhospitalière. Josée s’imagine dans l’Irlande des tempêtes. Ici aussi, le long de ce rivage, l’homme a su s’adapter et s’incruster dans le littoral en aménageant une multitude de mouillages accessibles aux seuls canots de pêche locaux assez téméraires pour défier  les nombreux écueils.

A midi, nous rentrons dans l’Aber Ildut, c’est une découverte pour Josée. Le soleil fait son apparition, un peu de chaleur nous réchauffe la couenne. Le pique-nique préparé par Josée est trop spartiate à mon goût : œufs et pain dur.

La brume nous quitte définitivement, le vent d’est aplatit la mer, les conditions de mer deviennent hyper favorables pour avaler à grande vitesse les milles du chenal du Four.

La pointe Corsen en vue, déjà ! Je scrute l’horizon, ah je le vois : l’étrange hybride se profile à l’horizon avec sur l’avant une sorte de métronome qui agite l’eau régulièrement et, à l’arrière, se dresse une aile de papillon. Le rendez-vous était organisé, nous rencontrons Eric et Philippe les inventeurs de nos petites voiles. Nos deux compères sont en pleine action de pêche, pas de chance pour eux, un goéland nommé Janvier rafle la totalité de leur pêche, soit deux maquereaux. La rencontre est chaleureuse et se prolonge à terre à la plage de Pors Illien recommandée pour le bivouac de ce soir par nos deux gaillards.

Ah, le plaisir du bain après une longue séance de pagaie ! C’est la meilleure kinésithérapie qui soit, le massage est total, naturel, vigoureux. Les articulations se refroidissent et, ce qui ne gâche rien, ça lave !

Sans transition, nous passons d’une journée de mer intense remplie d’émotions, à l’ambiance détente d’une après-midi à la plage.

La nuit, un gros orage éclate, la pluie tambourine notre tente avec insistance. Cela ne décourage pourtant pas quelques irréductibles pêcheurs noctambules occupés à gratter le sable.

Jour 4 – Lundi 27 janvier : migration de talitres et Léviathan des mers.

Pen Hir (Presqu’île de Crozon), environ 16 milles.

Au réveil nous observons une hallucinante migration de puces de mer, ce sont de minuscules crustacés appelés également talitres. Elles trottinent et sautillent vers la mer en rangs serrés. Je me souviens maintenant qu’après l’orage notre tente semblait être devenue un toboggan à puces. De plus, la porte de la tente restée légèrement ouverte a permis à un certain nombre d’entre elles de venir nous chatouiller les naseaux !

Dès le matin, les risées sont fortes, j’opte pour la voile tempête numéro 2 (d’une hauteur de 60cm). Je note qu’elle imprime un bon comportement au kayak. Josée, encore une fois, trop gourmande, choisit la voile « médium », mais erreur : trop de toile par rapport au vent rend le bateau ardent et les manœuvres deviennent difficiles.

Nous franchissons la pointe de Kermorvant à contre-courant. Josée réussit un virement de bord impeccable en remontant sa dérive au bon moment. A son air satisfait, je vois qu’elle est fière de sa manœuvre réussie au ras des roches.

Bout au vent, nous rentrons dans la rade de Brest. A la pointe de Créac’h Meur, nous prenons un cap au 120 pour une traversée de 5 milles qui nous conduit jusqu’à la pointe du Tourlinguet agitée par le vent et le courant.

Pendant la traversée nous croisons une vedette des douanes. C’est une décharge d’adrénaline qui nous saisit à l’instant où la puissante vedette vire de bord pour faire route droit sur nous. Le Léviathan des mers s’octroie une longue pause d’observation puis finalement décide de reprendre sa route initiale. Ouf soulagés, même si nous sommes « clean » avec nos cartes de circulation toutes neuves. Je reconnais qu’avec nos voiles nous offrons de loin un étrange spectacle.

Crozon, les hautes falaises de la presqu’île éclairées par le soleil sont toujours aussi magnifiques, respect Dame Nature ! Le vent persiste, nous estimons que la plage de Pen Hir située juste après les célèbres Tas de Pois sera une bonne position de départ pour demain.  Déjà le Raz demain, je n’en reviens pas !

Je me sens en pleine forme à l’arrivée après juste 16 petits milles de pagaie et de voile. Je repars aussitôt pour une chasse sous-marine autour des Tas de Pois. C’est facile de cueillir une godaille de moules. Par contre je dois batailler ferme pour capturer deux modestes vieilles. Le soir, je suis  complètement rincé après cet exercice supplémentaire.

Jour 5 – Mardi 28 juin : Le Toul Bihan et rencontre des Capistes.

Bestrée (pointe du Raz), environ 20 milles.

Nous longeons la falaise rendue lugubre par la pluie et la brume jusqu’au cap de la Chèvre. Le vent du sud nous ralentit pendant la traversée de la baie de Douarnenez. La mauvaise visibilité aidant, l’exercice s’éternise jusqu’à en devenir pénible. C’est avec soulagement que nous  faisons halte dans la crique de Brézellec située avant la pointe du Van. L’abri a une particularité notable : nous ne trouvons pas d’endroit pour débarquer, le « port » est simplement équipé d’un escalier et comme il n’y a pas non plus d’espace suffisant pour entreposer des annexes individuelles, c’est à un petit canot d’usage collectif que revient la tâche de faire la navette de l’escalier jusqu’aux différents bateaux mouillés dans l’abri.

Pour nous relaxer nous débarquons dans un des petits canots. Nous avalons notre repas composé de la sempiternelle semoule de couscous agrémentée cette fois avec des morceaux de vieille cuits au citron, le tout est, comme d’habitude, arrosé d’un thé chaud.

La réalité nous rattrape, nous avons 2 heures de retard sur le « timing » prévisionnel. La marée au Raz n’attend pas les retardataires. Le soleil de retour recharge nos batteries internes. Nous arrivons facilement aux abords du raz et constatons que la renverse du courant est commencée. Pourrons nous franchir le Raz en empruntant l’étroit passage du Toul Bihan ?

Le Toul Bihan c’est très court, mais violent et beau. Nous parvenons à remonter la veine de courant formée sur à peine quelques mètres, un virage sur bâbord toute et le Raz est derrière nous à notre plus grande satisfaction. Alors, pour faire plaisir à Josée, bien que le débarquement soit délicat pour nos kayaks chargés, je propose une escale dans le port étonnant de Bestrée.

Nous sommes aidés pour remonter les kayaks le long de la cale très pentue, puis nous faisons connaissance avec l’équipage de l’unique bateau de pêche professionnelle de ce petit port le plus proche du Raz. Le premier contact est plutôt « rugueux », nous sommes identifiés comme gênants simplement parce qu’ils ont besoin de toute la place disponible pour travailler (étaler, nettoyer, ranger les filets). Très vite nous trouvons un arrangement à l’amiable, le sourire de Josée est sûrement pour quelque chose et le mot de passe « je suis un copain de Didier Plouhinec » fonctionne aussi.

Puis chacun vaque à ses occupations :  pour nous baignade, sieste et photos, eux boulot autour des filets. Ensuite, nous avons papoté un max, parce que en réalité ils étaient curieux de nous et réciproquement. Nous découvrons que derrière ces visages rudes se cachent des âmes bonnes, simples et sensibles. Nous pouvons témoigner également qu’ils sont durs au labeur, si vous voulez vous joindre à eux, pas de problème, ils embauchent jusqu’à 85 ans !

Bestrée a été une bonne escale et je garde aussi en mémoire l’étonnante saveur du tartare d’algues confectionné avec les algues du Cap et les excellentes pinces de crabe dormeur reçues en cadeau.

Le Raz est franchi, c’est bien, mais nous ne sommes pas tirés d’affaire pour autant. Demain la traversée de la baie d’Audierne nous attend. Le vent va passer à l’ouest, sud-ouest 3 à 4 beaufort avec houle de 1,50 mètres. Ca devrait normalement le faire mais je suis tout de même inquiet.

Jour 6 – Mercredi 29 juin : Les écueils de la baie d’Audierne.

Port Saint Pierre (Penmarc’h), environ 30 milles.

Nous prenons notre petit déjeuner dégoulinants de pluie en face de la nombreuse troupe venue prêter main forte pour le nettoyage des filets. Jusqu’au Loch, nous progressons à contre-courant en longeant la falaise. Le vent et la houle sont au rendez-vous, encore une fois la voile est une précieuse alliée et soulage vraiment nos efforts.

La mer nous brasse copieusement toute la matinée. L’escale à Pors Poulhan située à mi-route dans la baie d’Audierne nous requinque bien. Je suis vraiment fatigué de me faire secouer comme un prunier, Josée remarque bien mes hésitations. A sa manière, elle m’exhorte à repartir en me lançant un regard noir signifiant que ce n’est pas le moment de baisser les bras. C’est vrai, demain sera pire et puis, vu du rivage, avec le soleil revenu, la mer offre un visage plus accueillant. Un pêcheur très figure locale, charentaises aux pieds et gros cigare au bec monte à bord de son annexe. Il nous renseigne :

– Pas de problème, longez le bord, surtout n’allez pas au large, il y a du courant… C’est juste à côté.

– Et vous sortez aujourd’hui ?

– Non, il fait trop mauvais !”

Nous retrouvons notre marmite bouillonnante, avec du soleil elle est supportable, par contre suivre le rivage se révèle être une entreprise scabreuse, aléatoirement des déferlantes se lèvent devant nous.

Nous reprenons le large avec le phare d’ Eckmühl en ligne de mire 3 heures durant. Au large, avec la profondeur retrouvée, la mer ne déferle plus et nous profitons mieux du courant. Malgré cela, Eckmühl ne se rapproche pas vite. Notre persévérance est mise à rude épreuve. A proximité de la pointe de la Torche la renverse de courant freine brutalement notre progression et nous oblige à rejoindre le rivage. Je lis nettement les effets de la fatigue sur le visage de Josée, je ne veux pas l’obliger à continuer mais sa décision est irrévocable : nous ferons ce soir les 6 milles qui nous séparent encore de Port Saint Pierre.

La pointe de Penmarc’h est interminable : il a fallut lutter contre les courants puis éviter les bateaux de pêche qui rentraient tous en même temps au port. Après toutes ces heures d’efforts, c’est un grand bonheur d’aborder par le sud le grand phare d’Eckmühl. Nous montons la tente au pied même du phare. La soirée est pluvieuse et ventée, mais, bien restaurés avec les meilleurs jokers de notre cambuse, nous retrouvons le moral: nous avons échappé aux écueils de la baie d’Audierne et nous avons gagné les mers du sud !

Jour 7 – Jeudi 30 juin : “Danse sur les vagues”.

Ile Tudy, environ 13 milles.

La météo est exécrable ce matin, un vent de force 6 du sud-ouest blanchit la mer. Nous attendons que la mer monte assez haut avant de tester notre stratégie qui va consister à pagayer en bordure de côte sous la protection des premières bandes rocheuses. Notre système nous permet de sortir de la zone de port Saint Pierre en restant à l’abri, puis nous devons tout de même nous exposer à la houle et alors là, c’est du costaud, particulièrement aux abords de Kérity. C’est le premier vrai test de notre voile tempête. Le constat est étonnant, la voile tempête imprime au kayak une allure de “fuite” intéressante. Au lieu d’être brassés, parfois déstabilisés, voire stoppés comme cela se passe dans des mers agitées, nous sommes constamment poussés, de plus notre vitesse nous procure un excellent passage dans les vagues. L’économie d’énergie est appréciable du fait que la pagaie est utilisée soit pour donner une légère propulsion supplémentaire, soit pour glisser simplement, à plat sur l’arrière. Notre sentiment de sécurité dans ce type de mer augmente largement. Bref, nous “dansons sur les vagues”.

Malgré tout, Josée paye les efforts de la veille : fatiguée, elle demande à s’arrêter. Nous débarquons sur la plage de l’Ile Tudy. Elle s’endort aussitôt dans ses vêtements trempés. Je monte la tente au dessus d’elle pour l’abriter.

Port Tudy n’est pas un lieu débordant d’animation. D’après une habitante, en dehors de la belle église, de la plage et des bistrots, point de salut !

Le soir la mer est toujours moutonnante, Josée calme et reposée fait son aquarelle quotidienne, tout va bien.

Jour 8 – Vendredi 1er Juillet : Le Cap Horn breton, mythe ou réalité ?

Pouldohan (Concarneau), environ 12 milles.

Le mauvais temps persiste, pluie et vent force 5 avec rafales sous grains. Nous entrons en contact avec le sémaphore de Beg Meil. La vigie nous met en garde pour le passage de la pointe de Trévignon et nous informe également d’une amélioration météo pour le lendemain.

L’avertissement m’incite à la prudence, j’ai en souvenir le propos d’un marin qui qualifiait la pointe de Trévignon de “Cap Horn breton”. Mythe ou réalité ?

Après la traversée houleuse de la baie de Concarneau, nous décidons de ne pas vérifier la réputation de la pointe de Trévignon. Nous mettons un terme à notre étape du jour en pénétrant dans la petite ria de Pouldohan. La transition est infiniment douce, l’anse très verdoyante affiche un air de campagne. Nous remontons jusqu’au delà d’un moulin à marée et finissons notre trajectoire dans les roseaux d’un étang.

Je profite du calme de cette petite ria pour pêcher au lancer. Rapidement je capture deux bars en agitant un petit “Sammy” en bordure des fucus.

La pluie a la bonne idée de cesser et la soirée devient douce dans un cadre à la fois champêtre et maritime.

Jour 9 – Samedi 2 juillet : Chirurgie sans anesthésie.

Pont Aven, environ 30 milles.

La journée commence très bien : le gardien – jardinier de la modeste propriété de 11 hectares en bordure de laquelle nous avons dormi nous offre des légumes de son potager : pommes de terre, carottes et betteraves remplissent un caisson.

Ensuite, petit bémol, erreur de trajectoire sur sol vaseux, le chariot s’enlise et pour couronner le tout je m’enfonce une superbe épine dans le pied. Heureusement le cabinet médical “Galorn” tenu par l’infirmière en chef Josée est ouvert 24 heures sur 24, l’infirmière m’opère sur le champ de vase sans anesthésie.

Le vent est faible, nous arrivons sans encombre à l’entrée de l’estuaire de l’Aven. Nous profitons du courant du flot pour remonter la rivière jusqu’au terminus : la ville de Pont Aven !

Pendant deux petites heures nous devenons touristes parmi la foule des touristes. Les galeries de peintres sont nombreuses, il faut souligner que Van Gogh et Gauguin ont séjourné ici. Les célèbres galettes sont également incontournables.

Avec un jusant aussi puissant que le flot, nous retrouvons rapidement la mer, avec la certitude que les rias de Bretagne valent à elles seules le détour tellement elles distillent un sentiment de calme dans leur écrin de verdure.

La bonne météo du jour nous incite à continuer notre route. Le soir, harassés, nous débarquons à Moëlan avec la satisfaction d’une journée bien remplie.

Jour 10 – Dimanche 3 juillet : “Je me dis qu’elle m’aime toujours”.

Isthme de Quiberon, environ 30 milles.

Navigation calme le matin et, à midi, nous débarquons à Larmor-Plage.

L’après-midi la petite brise se transforme en vent et nous oblige à réduire notre voilure. Après la pointe de Gâvres, nous découvrons une immense plage de sable rectiligne.

La barre située à l’entrée de la rivière d’Etel déferle, nous continuons notre chemin et nous décidons de mettre le cap sur l’isthme de la presqu’île de Quiberon. La mer se creuse de plus en plus, de nouveau c’est l’ambiance “danse sur les vagues” qui domine. La voile tempête redevient atout majeur.

Notre atterrissage se précise. Vue de nos kayaks la zone située près de la forteresse semble la plus abordable.

Nous voici dans la zone de déferlement des vagues, Josée perd son chapeau, je le repêche, puis pendant mon opération de “démâtage”, la canne me servant de mat m’échappe des mains et tombe à l’eau, heureusement retenu par la garcette sauf que la dite garcette (la garce) se coince dans la dérive. Par une contorsion, je parviens à récupérer mat et voile, ensuite, apercevant une zone plus calme, j’atterris en douceur. A 100 mètres de là, j’aperçois Josée occupée à écoper son kayak. Elle a eu moins de chance que moi et elle a chaviré. Mais bon, apparemment rien  de perdu, même pas son sourire inoxydable.

Repérage de l’isthme à pied, j’aperçois un groupe de kayakistes, gentiment ils acceptent d’être réquisitionnés pour porter nos kayaks jusqu’à la route. Nous chariotons jusqu’à une petite cale située du côté sous le vent. La circulation routière est hallucinante, nous assistons à un dépassement dangereux qui aurait pu mal finir. Enfin nous pouvons rechercher un bivouac convenable.

Toutes ces émotions m’ont bien amusé. Par contre, j’ai l’impression que Josée est plus que calme et qu’il ne faut pas en rajouter. Je reconnais que l’étape a été plutôt longue et rude et, au moment de débarquer, curieusement, elle n’est plus d’une humeur commode mais bon, je me dis qu’elle m’aime toujours…

Jour 11 – Lundi 4 juillet : Mers du sud à la sauce alizés.

Port du Crouesty, environ 16 milles.

Le vent est fort dès le matin, nous traversons la baie de Quiberon puis longeons la côte depuis Carnac jusqu’à la Trinité où nous faisons notre escale du midi. L’après-midi, le vent forcit encore. En face de l’entrée du golfe du Morbihan, la mer est blanche d’écume, notre allure, dite “de fuite”, devient à mon goût à la limite du raisonnable.

La situation se gâte vraiment à la pointe située juste avant le port du Crouesty. La mer se met à déferler de tous les côtés. En surf sur les vagues, je réalise que je fais marche arrière par rapport à la côte toute proche. Josée réalise également la situation critique et crie affolée :

– Qu’est-ce qu’on fait ?

– Un bac, on s’écarte du bord !

S’écarter pour avoir plus d’eau, moins de courant, plus de sécurité…

La manoeuvre réussit, nous parvenons à nous réfugier dans le port du Crouesty. Josée me dira ensuite qu’à plusieurs reprises elle a bien cru chavirer. Nous avons fait une réelle erreur d’appréciation du courant (je le croyais essentiellement perpendiculaire entrant dans le golfe au flot, en fait il remonte également par le sud).

Sous le coup de l’émotion, nous prenons également l’engagement de faire quelques séances de vagues pour affûter notre technique de pagaie, nous nous sommes sentis limite sur ce coup là ! Et puis il y avait trop de vent également. Nos kayaks, eux, sont vraiment très bons !

Après ces émotions fortes nous sommes assis à l’abri du vent sur la plage, nous sommes témoins de l’effervescence qui règne dans le secteur. La SNSM rentre avec, en remorque, un bateau à moteur, puis un grand nombre de voiliers rentrent précipitamment, nous imaginons que la régate a été interrompue par le coup de vent. Quelques voiliers tentent  de sortir du port mais la plupart ne parviennent pas à dépasser la première balise du chenal ; bien secoués ils préfèrent faire demi-tour.

Le deuxième plus grand port d’Europe n’offre pas de commodités pour les nomades de la mer que nous sommes. Parti à la recherche d’eau, je contourne le port (longue marche) sans réussir à trouver un point d’eau accessible. A la capitainerie, le bulletin météo du jour affiche de possibles rafales de vent jusqu’à force 8, c’est peut-être ce que nous avons subi sur l’eau ? La prévision pour les prochains jours n’est pas meilleure : nous mangeons la mer du sud à la sauce « alizée » !

Le Crouesty ? C’est juste un gigantesque parking à bateaux et des quais farcis de boutiques “attrape -touristes”, ainsi que des villas planquées derrière des hauts murs et des portails électriques…

Jour 12 – Mardi 5 juillet : Des squatters dans notre tente.

Pointe de Penvins, environ 12 milles.

Eole nous permet de passer facilement la pointe de Grand Mont avant de reprendre son souffle. Ensuite, tout le long du trajet, nous sommes copieusement arrosés et poussés jusqu’à la pointe de Penvins. Nous atterrissons sous un ciel menaçant ; la mer est verte, ourlée de crêtes blanches.

Penvins, l’escale technique est très appréciée. L’ami Denis est ravi de nous recevoir dans sa maison de vacances toute neuve. Nous retrouvons le confort moderne. Ce soir là nous dormons dans un vrai lit, tandis que les enfants de Denis et Marie -Annick sont ravis de squatter notre tente.

Jour 13 – Mercredi 6 juillet : Passage de l’eau salée à l’eau douce et rêves de mers oubliés.

Foleux : 15 milles (jusqu’au barrage d’Arzal) + 15 kilomètres de rivière.

Nous quittons Penvins avec une tenue de mer qui sent bon le propre et aussi avec le ventre trop plein.

Progressivement l’eau s’assombrit et finit par devenir couleur chocolat.

Le courant du flot est vraiment puissant, le paysage campagnard défile à toute vitesse. L’estuaire de la Vilaine est bordé de larges vasières avec le soleil en trompe-l’oeil nous arrivons même à nous échouer sur les bancs de vase !

Des concessions ostréicoles et des bouchots sont installés sur les rives. Je m’approche du bord pour observer ces gens de mer inconnus de ma culture marine. Couverts de boue de la tête aux pieds, ils “touillent” la vase à genoux tout en ayant les pieds fixés sur des sortes de raquettes. Ils traînent un petit traîneau accroché à la taille qui permet de déposer les coquillages. La personne la plus proche m’explique que toute l’année ils ramassent coques et palourdes, de 30 à 120 kg par jour. D’un geste mon interlocuteur ôte sa coiffe couleur de vase et je vois une abondante chevelure blonde se répandre, j’en reste pantois…

Arzal : au détour d’un ultime méandre le grand barrage apparaît. Plutôt que d’attendre deux heures le prochain éclusage, nous trouvons une petite cale facile d’accès et un petit chariotage nous transporte côté Vilaine. Avec une certaine jubilation nous glissons entre des roseaux, ça y est, nous sommes dans la Vilaine !

C’est comme un monde nouveau qui s’offre à nos yeux : l’ambiance générale est très maritime tant la flottille de canots et de voiliers est importante. Je note également que de nombreux voiliers battent pavillon britannique. Le soir, nous arrivons à Foleux, toujours accompagnés de cet atmosphère marine. Les pontons sont bondés de voiliers, j’imagine que beaucoup de rêves de mer finissent oubliés le long de ces parkings à bateaux.

Un plaisancier, absorbé par le fignolage de son rêve de mer (rejoindre les Açores l’année prochaine) me confie :

“La Vilaine est surtout un vaste réservoir d’eau potable pour le bassin rennais. La plaisance est tolérée parce qu’elle rapporte de l’argent. Quand le niveau d’eau baisse, il n’est plus question d’écluser et nous ne pouvons plus sortir en mer”.

En même temps, il me donne son astuce pour avoir un beau vernis : poncer entre les couches avec du papier de verre à l’eau en utilisant du white spirit à la place de l’eau.

Jour 14 – Jeudi 7 juillet : Vilaines pirateries et mulet rance.

Viaduc du Droulin : 47 kilomètres.

Départ sous la pluie mais nous n’avons plus à craindre les tempêtes qui sévissent en mer. Rencontre d’un pêcheur dans sa barque. Il pêche à l’aide d’un petit filet carré nommé “carrelet”, la technique est ultrasimple : il s’agit de descendre et de relever le filet, le rythme est complètement aléatoire. Le filet surprend les poissons qui passent au dessus du piège. L’espèce recherchée est le sandre mais ce sont surtout des mulets et des brèmes qui se laissent capturer. Nous repartons avec un beau mulet vivant en travers du pont du kayak.

Redon, pause de midi et nouvelle rencontre. L’homme vit en permanence dans son voilier avec peu de moyens. Amarré à un quai napoléonien (gratuit) depuis deux ans, il est juste obligé de se déplacer de quelques mètres de temps en temps. Parfois il sort en mer et gagne les îles de Houat et Hoëdic.

“Depuis peu, j’ai un chien de défense à bord. A Houat, j’ai été braqué une nuit par un groupe de plongeurs, menacé par des arbalètes de chasse sous-marine, j’ai été dévalisé. Pour moi il y a des pirates le long des côtes de Bretagne et particulièrement à l’entrée de la Loire mais je ne suis pas assez fou pour aller là-bas.”

Après Redon, la rivière se rétrécit et les rives sont davantage boisées. Notre vitesse de croisière est de 6 km/h, bornes kilométriques faisant foi. Sur cette portion de la Vilaine, nous croisons quelques pénichettes et deux ou trois voiliers qui s’entraînent à tirer des bords.

La Vilaine est classée maritime jusqu’à Redon afin de permettre à l’unique sablier qui relie Redon à Nantes de bénéficier du prix du gasoil détaxé. Par contre pour les pêcheurs, un permis est exigé comme pour tout plan d’eau douce qui se respecte, cherchez l’erreur…

Le soir, nous arrivons au pied du viaduc du Droulin.

Notre mulet est transformé avec soin en filets, cuit dans un court-bouillon puis revenu à l’huile d’olive, ail et citron. Malgré la gabegie d’ingrédients utilisés et malgré tout notre bonne volonté, nous ne réussissons pas à le manger tant il se révèle gras, huileux, fadasse. Après cet essai cuisine locale au goût détestable, je range ma canne à pêche à fond de cale jusqu’à notre retour en eaux salées.

Jour 15 – Vendredi 8 juillet : La baignade de la biche et drôles de Tarzan.

Ecluse du Bouël, 47 kilomètres.

C’est notre première journée avec des passages d’écluses. Nous rivalisons de vitesse avec les 2 péniches rencontrées, à la fois par jeu et aussi pour écluser en même temps quelles. A ce rythme là, le soir nous sommes complètement usés. C’est ce qui arrive quand on ne gère pas ses efforts…

La jolie rencontre du jour survient lorsque dans une zone particulièrement verdoyante je lance “c’est le fleuve Amazone ici” et Josée commence à imiter des cris d’oiseaux exotiques, je m’y met aussi, délire tropical ? Subitement c’est une grande agitation sous les branches : nous avons effrayé une biche qui se baignait discrètement à l’abri des regards. Affolée elle tente de se hisser sur la berge, il lui faut plusieurs tentatives avant d’y parvenir et de disparaître dans les fourrés. Plus loin, c’est une grosse tortue aquatique qui se chauffe la carapace au soleil. Les minuscules poussins de poules d’eau déjà habillés des couleurs chatoyantes comme leurs aînés sont particulièrement agiles et adorables.

L’écluse du Bouël, notre escale du soir, située 21 kilomètres avant Rennes est particulièrement esthétique. La nuit, des bruits et des cris m’arrachent de mon sommeil. Je m’extirpe de la tente et je vois deux jeunes hommes perchés dans un arbre, occupés à casser des branches tout en poussant des cris qui feraient honte à Tarzan lui-même. Surpris par mon apparition (presque nu), ils s’excusent et justifient leur présence par la recherche de bois pour faire du feu. Le matin je constate la carbonisation encore tiède du plateau d’une table en bois mise à disposition pour les pique-niques. Affligeante jeunesse!

Jour 16 –  Samedi 9 juillet : Les derniers éclusiers.

Saint Germain sur Ille, 42 kilomètres.

La Vilaine devient un long fleuve tranquille, aucune circulation nautique. Hormis quelques joggers, promeneurs et pêcheurs arpentant le chemin de halage. Le passage des écluses devient facile et rapide.

Sous la rocade de l’agglomération rennaise l’air pollué par la circulation routière est nauséabond. Nous longeons une file d’anciennes péniches amarrées à un quai (sans doute napoléonien), puis nous nous engageons sous un pont couvert de tags arborant la pancarte “canal d’Ille et Rance”. Nous voici dans l’écluse du mail, la première écluse du canal de l’Ille et Rance, nous y sommes attendus (chaque éclusier prévient le suivant de l’arrivée d’un client).

Les berges du canal d’Ille et Rance sont joliment fleuries et boisées. La faune rencontrée sur l’eau n’est pas farouche : les canards ne quittent pas leur perchoir, les poules d’eau continuent de couver leurs oeufs lorsque nous les surprenons… C’est bon d’avoir le sentiment de ne pas être, pour une fois, l’animal super prédateur, à fuir sur l’instant !

Navigation tranquille ponctuée de petites “papotes” avec les promeneurs et pêcheurs croisés le long du chemin de halage. Les éclusiers, particulièrement les anciens, sont habités d’un certain “mal-être”, ils disent appartenir à l’ultime génération, après eux l’automatisation des écluses va se généraliser et leur métier va disparaître. Alors, nous engrangeons comme souvenir les images de toutes ces petites maisons aux jardins fleuris et tous ces petits échanges qui font la vie du canal.

Fin de la journée au kilomètre 21, ce soir là les kayaks restent à flot simplement amarrés à la berge.

Jour 17- Dimanche 10 juillet : Voie royale ou galère ?

Kilomètre 58, soit 37 kilomètres.

Le dimanche, c’est un bon jour pour naviguer sur le canal. Les abords sont animés, promeneurs, joggers, pêcheurs, cyclistes, là une petite fête de village, plus loin un concours de boules ou un marché local. L’eau agit comme un aimant et attire les foules en quête de loisirs. Le plus beau de ce jour a été le passage des écluses de Hédé. A cet endroit, le canal d’Ille et Rance prend toutes ses lettres de noblesse. Cet enchaînement d’écluses forme une véritable oeuvre d’art. Comme nous sommes absolument seuls sur l’eau, nous enchaînons sans attendre les éclusages avec le sentiment d’être une attraction tellement nous avons de spectateurs.

C’est impossible de ne pas avoir une pensée pour certains kayakistes qui ont parcouru les canaux sans autorisation, cela signifie sortir de l’eau les kayaks aux abords des écluses, une vraie galère !

Jour 18- Lundi 11 juillet : Palourdes à profusion !

Plouer sur Rance, 37 kilomètres + 3 milles.

Dès 9 heures, heure d’embauche des éclusiers, nous commençons à franchir nos dernières écluses. A Evran, comme le centre ville est proche du canal, nous faisons un ravitaillement facile.

Le paysage devient très verdoyant et encaissé.

La Hisse : l’ambiance est champêtre, le barrage s’ouvre juste à notre arrivée. Nous nous y engouffrons puis, peu après, nous remplissons nos poumons de l’atmosphère marine retrouvée.

La Rance maritime commence par quelques méandres creusés dans la vase, puis le vent en pleine face nous incite à stopper à Plouer sur Rance sur une petite cale faite d’un textile synthétique pratique pour charioter au dessus des bancs de vase.

Comme c’est la mer basse, c’est aussi jour de pêche, nous faisons une géniale pêche de palourdes, mais que signifie le panneau rouge “pêche interdite” (sans autre précision) trônant en haut de la grève ?

Jour 19-Mardi 12 juillet : Retrouvailles avec la mer et scouts affamés.

Fréhel, environ 28 milles.

Navigation calme au départ, puis rapidement nous devons raser le rivage et chercher les contre-courants pour progresser au mieux en direction du barrage de la Rance.

Cette fois nous avons moins de chance, les portes du barrage se ferment devant nous. Nous devons patienter jusqu’à 11 heures avant de franchir l’ultime porte et retrouver l’océan. Nous sommes content de retrouver la mer libre. Nous faisons notre escale du midi à Dinard, mais vraiment c’est trop touristique pour nous. La météo affichée chez le loueur de planches à voile local nous informe d’un très favorable vent de nord – est persistant pour les jours à venir.

Nous quittons Dinard avec le courant bien établi vers l’ouest. Le vent et le courant associés, nous avalons des milles à grande vitesse.

Le vent se renforce, c’est poussé par une forte houle et sous voile “tempête” que nous abordons le mouillage de rêve situé dans le sud de l’île des Ebihens. Le site magnifique est bondé d’embarcations de toutes sortes.

Courte escale technique au port de Saint Cast pour reprendre quelques forces et se préparer psychologiquement à la suite de l’étape qui risque de devenir musclée.

La pointe de Saint Cast est prise d’assaut par de grosses vagues. Dans le feu de l’action, je pense très fort “pourvu que Josée ne vire pas trop tôt”. Ouf, elle me suit, a-t-elle deviné le danger ? Souvent elle coupe les pointes au plus court et dans les cas comme celui-ci, je stresse, je stresse…

Puis, la situation s’améliore, le vent mollit, nous traversons la baie de la Fresnaye et dépassons la pointe du fort La Latte sans souci.

Le grand cap Fréhel est en vue, la veine d’eau établie au large est bien visible. Près du bord, dans le contre-courant c’est moins rapide, mais nous bénéficions d’une mer plus calme.

A la pointe, pas d’alternative, nous devons passer dans la zone agitée et nous nous faisons bien brasser par des vagues pyramidales.

Ensuite, passés les Amas du cap, sous le vent de la falaise, c’est fini, la mer redevient calme.

C’est suffisant pour nous aujourd’hui, la première plage repérée après le cap est parfaite pour notre arrêt définitif et le bain tonique dans les rouleaux de la plage vaut toutes les séances de massages du monde !

Rencontre d’un groupe de scouts, lâchés dans la nature avec un équipement limité et peu de nourriture, ils sont très réceptifs à la leçon d’identification d’algues comestibles que je leur dispense. Plus tard je les surprend à brouter directement sur les rochers : ils sont vraiment affamés.

Jour 20 – Mercredi 13 juillet : Josée malade et zone interdite.

Pléneuf-Val-André, environ 12 milles.

Nuit difficile pour Josée affectée par de fortes diarrhées et des vomissements, le matin elle ne peut pas repartir. Refroidissement, intoxication avec les palourdes de la Rance ?

Je fais un aller-retour à la pharmacie de Fréhel pour trouver le médicament miracle qui doit la remettre sur pieds.

Courageuse Josée, malgré sa fatigue, elle veut absolument repartir. En début d’après-midi, la mer très belle, le courant portant et le vent portant nous incite à un départ. Malgré ces conditions de navigation faciles, Josée est vite fatiguée. Arrivés à proximité de l’île du Verdelet, par précaution, nous nous arrêtons.

Pléneuf-Val andré est une station balnéaire très touristique, pourtant notre bivouac est tranquille parce que  situé à l’intérieur d’une zone interdite au public en raison de risques de chutes de pierres…

Jour 21 – Jeudi 14 juillet : Gros « bidons » et feu d’artifice.

Ile Saint Rion, environ 30 milles.

Traversée de la baie de Saint Brieuc, calme plat et brume. A midi nous accostons l’île Harbour. Le bel îlot est évidement pris d’assaut par une horde de touristes motorisés. L’espèce est intéressante à observer du coin de l’oeil.

3 ou 4 groupes sont agglutinés sur la toute petite grève. Je constate que pour certaines personnes, le but ultime dans la vie c’est de pouvoir s’afficher avec des jouets bruyants et consommer au maximum ce qu’ils nomment sans doute les plaisirs de la vie. Le résultat de ces agapes fréquentes et généreuses est particulièrement visible sur la gent masculine qui expose au soleil des “bidons” bien rebondis. Vive les vacances !

Au bout d’un moment, finalement, intrigant à la fois par notre accoutrement et nos montures pour le moins rustiques, nous sommes abordés par le biais d’une invitation à l’apéro. Le choix est vaste : whisky, champagne, punch. Nous déclinons l’alcool le midi parce que nous devons pagayer. Par contre, nous acceptons de repartir avec une bouteille de punch afin de pouvoir boire le soir à leur santé et à leur prospérité.

Après-midi touristique sous un temps magnifique le long de la côte ouest de la baie de Saint Brieuc.

Le soir, l’entrée dans l’archipel de Bréhat se fait dans un calme absolu. A la surface de l’eau j’aperçois des bars, la bouche grande ouverte, occupés à gober des petits poissons. Je tente ma chance, mais tous mes essais avec mes leurres artificiels restent vains.

Arrivée magique à l’île de Saint Rion, le plaisir est immense de se sentir de nouveau dans un univers bien connu. La nuit est illuminée par le feu d’artifice lancé du port de Paimpol. Quelques petits voiliers sont venus devant notre plage pour profiter de ce spectacle vu de la mer.

Jour 22 -Vendredi 15 juillet : Re – palourdes et jeunesse éméchée.

Port Blanc, environ 22 milles.

Météo parfaite, eau cristalline, des ingrédients rarement réunis à ce niveau là nous offrent une merveilleuse navigation le long de la côte du Goëlo. De ma mémoire de pagayeur, jamais je n’ai survolé des eaux aussi claires et limpides dans ce pays déjà beau en temps ordinaire, bref nous en prenons plein les mirettes, preuve rassurante que nous ne sommes pas encore blasés ni saturés de paysages marins.

Fin de notre étape à l’île aux Femmes à Port Blanc. Très belle pêche de palourdes autour des îlots, avidement dégustées en guise de clôture d’une exceptionnelle journée de navigation.

Pendant l’installation de notre bivouac, des jeunes d’une quinzaine d’années nous interpellent, bouteille de whisky à la main, allure passablement éméchée : “ Vous dormez là ? Pas de problème, si vous avez besoin de quelque chose, nous sommes là ! “

Jour 23 – Samedi 16 juillet : L’émotion du retour, partir par l’ouest, revenir par l’est…

Le Diben, environ 30 milles.

Le temps d’exception continue, comme si la nature voulait nous communiquer le message “ ici, c’est le plus beau du plus beau “. Toute la journée nous naviguons au dessus d’un aquarium géant. Les yeux s’évertuent à scruter les dessus et les dessous de l’onde lisse.

Josée se sent “scotchée” par cette mer plate : le vent, où est le vent ?

Même par très beau temps, le caractère sauvage de l’étroit goulet entre l’île Grande et l’île Canton reste fort.

Avec la renverse bien amorcée, nous arrivons rapidement aux abords de la superbe île Molène, bondée de monde ce jour là.

Le vent de nord-ouest promis par la météo arrive enfin, c’est génial de pouvoir hisser la voile bleu azur “beau temps” et de se lancer dans une folle traversée de la baie de Lannion.

Nos kayaks vibrent de nouveau. En 2 heures 15 nous atteignons la pointe de Primel et nous retrouvons la baie de Morlaix qui reste toujours ma préférée.

La belle plage de Port Blanc après la pointe du Diben nous accueille ce soir là pour l’ultime bivouac.

Notre tour s’achève, l’émotion est forte de revoir ma baie de Morlaix, partir par l’ouest, revenir par l’est, c’est tout simplement génial.

Jour 24 – Dimanche 17 juillet : Rêve ou réalité ?

Pempoul (St Pol de Léon), 5 milles environ.

C’est un jeu d’enfant de rejoindre la petite plage de Sainte Anne à Saint Pol de Léon ce matin là. Installés à la terrasse du café avec vue sur nos kayaks au mouillage, Josée choisit une pêche Melba et moi une banana Split trop riche en chocolat. Faire tout ça pour savourer une glace, me direz-vous ?

Puis, comme prévu à midi pile nous franchissons l’amer de la cale de Pempoul. La boucle est bouclée, nous arrivons frais et dispos comme des gardons. D’ailleurs les kayakistes rencontrés sur la cale ne croient pas nos propos quand nous leur disons que nous finissons à cet instant un tour complet de la Bretagne !

J’ai l’impression d’être parti juste la veille, tellement la mer nous a pris corps et âme pendant tout le voyage, la sensation, l’émotion à l’arrivée est fabuleuse.

Pourtant, maintenant encore, lorsque je contemple ma baie de Morlaix, partir vers l’ouest, revenir par l’est me paraît une entreprise au dessus de mes forces, c’est comme un rêve irréaliste et pourtant ce fut une réalité pour Josée et moi en ce beau début de l’été 2005.

Jean-Marc Janvier


L’avis de la coéquipière.

Ca vous intéresse d’avoir mon ressenti? De savoir comment j’ai vécu ce moment de voyage en kayak ?

Avant de partir, je me suis interrogée : d’une part, je n’ai pas la condition physique pour tous ces milles : suis-je capable de relever le défi de cette navigation? Et puis aussi : envie de relier plusieurs coins connus, très beaux pour la navigation, mais qu’est-ce que la Bretagne nous réserve comme découvertes ou déconvenues dans ses côtes maritimes ? Qu’est-ce que nous allons trouver dans ce voyage ?

Côté navigation:

Pour tout vous dire : j’adore naviguer avec Jean-Marc ! Pour ceux qui nous connaissent, pas de surprise, pour les autres  quelques lignes complémentaires sont peut-être nécessaires!

C’est toujours dur de larguer les amarres : il y a tant de raisons de ne pas partir (fatigue accumulée, des choses à faire, du temps à donner…) surtout si vite… Je finis le travail sur les rotules à 19h, j’arrive à St Pol à 20 h…j’ai juste à mettre mes affaires perso dans mon kayak, la tente, le réchaud…j’ai fait les courses avant, Jean Marc a complété en frais, assuré une vérification minutieuse du matériel, équipement et toutes les petites bricoles de réparation, de pêche…là, la complémentarité joue à fond !

La prévi météo donne des conditions favorables pour partir vers l’ouest…Dés 9 heures le lendemain, les kayaks sont à l’eau, quelques coups de pagaies…et nous sommes si loin, l’eau salée nous imbibe totalement, évasion complète…ça va durer 3 semaines, coude à coude, nous serons l’un comme l’autre, complètement dans le voyage !

Nous échangeons avant chaque étape : prévi météo, marée, distance, objectif, difficultés, points d’intérêt…. Même si Jean-Marc a discrètement imaginé un point d’arrivée, l’objectif potentiel est toujours revu en fonction des conditions de mer rencontrées et avancement réel. Compte tenu des longues distances à réaliser (bien au-delà de nos moyennes habituelles) que je ne suis pas sûre de tenir : j’ai plutôt essayé de faire de mon mieux, sans trop forcer, de bien sentir jusqu’où je pouvais aller sans compromettre l’étape suivante.

Je dois reconnaître que Jean Marc a toujours été attentif à ce que nous n’avancions pas à tout prix, à nous ménager des temps de repos quand ils sont ressentis nécessaires (Il commence a connaître nos limites mais aussi nos capacités à trouver encore plus

d’énergie en cas de nécessité). Ajoutez à cela une bonne appréhension des conditions de navigation (anticipation des courants, trajectoire optimisée, points clés/étape suivante…), notre marin devient stratège pour lui et sa co-équipière…la petite voile en plus n’est pas due au hasard… Equilibre subtil, acquis au fil de nos nombreuses navigations partagées, tout cela fait notre force.

Côté terre « le kayak, c’est bien quand ça s’arrête », la complicité se poursuit, nous adorons tous les deux les joies du bivouac !

Côté littoral breton:

Aucune étape ne m’a déçue, toutes ont eu leur charme avec, à chaque fois, une ambiance particulière liée au lieu, à la météo, aux lumières, aux gens croisés, à nous, à moi. C’est ce qui nous a fait avancer !

Le pays Pagan et tout le nord Finistère avec sa côte hostile, sous un ciel couvert, brumeux  nous a laissé découvrir de nombreuses anses abritant o

u faisant semblant d’abriter quelques petits bateaux de « pêchoux » bravant toute l’année vents et marées, une côte rude où chacun prend le droit d’avoir sa petite maison difforme sur la pointe rocheuse un peu loin de tout, ça ne gêne personne…La force et la magie des forts courants de la pointe nous ont littéralement emportés dans des coins où la force de la nature est partout présente : Brignogan, Portsall, chenal du Four…pour atterrir sur des plages de sables dorés  où chacun « bouine » gentiment en ce dimanche ensoleillé comme si de rien n’était, tranquille paisible : quel contraste entre des moments de mer intenses et l’arrivée dans des coins bivouacs paisibles ! Et encore, cette presqu’île de Crozon, belle comme c’est pas permis avec ses falaises colorées, majestueuses, tous mes respects « dame nature »… et puis ce tout petit port inaccessible et encore ce passage du raz de sein récompensé par une escale chez les « Capistes » au tempérament si bien trempé ! Et cette mémorable arrivée à Penmarc’h ! …Nous voici déjà en Bretagne sud…encore autant d’émotions, différentes bien sûr, entre les pointes bien brassées, les Abers, une côte préservée aux doux contours, douceurs du soir. Et le canal « Manche-Océan », bel ouvrage ayant perdu de son utilité mais duquel se dégage la force des grands travaux réalisés et entretenus  par des hommes et femmes sous contraintes…des portes qui s’ouvrent vers la mer…c’est magique ! La Rance, St Malo qui a eu ses pages d’or dans notre histoire maritime. Puis la côte nord que nous connaissons mieux et qui pourtant nous a encore émerveillé et dévoilé de nouveaux trésors.

J’exagère me direz-vous ?  Je ne suis pas sûre ! Juste que je suis encore sous le charme,  Jean-Marc aussi. Une vraie redécouverte de ce que nous avons à portée de pagaie… à vivre, chacun à sa manière, à recommander sans hésitation…si vous le voulez : une belle aventure vous tend les bras !

Josée Conan.


Côté pratique : « pagayer, manger, dormir »

Nos embarcations : Nous sommes restés fidèles à nos vieux « CATCHIKY » fabriqués par PLASMOR il y a 20 ans. Pour la propulsion nous avons optés pour des pagaies bois de TURBULENCE  www.turbulence-kayak.com  (c’est vraiment plus doux pour nos articulations) et les petites voiles amovibles.

La navigation : cartes marines, cartes de courant, almanach du marin Breton, règle rapporteur CRAS, compas, montre.

Notre sécurité en mer : pagaie de secours, flotteur de pagaie, fusées de détresse, miroir de signalisation, bout de remorquage, corne de brume, pompe de cale, lampe étanche, VHF, gilet de sauvetage, pontage étanche, baromètre, poste de radio (météo)…

Pour préparer nos repas : un réchaud à alcool à brûler, thermos, vache à eau…

Pour bien se reposer : une petite tente tunnel, matelas autogonflant, duvet, vêtements….

Pour se nourrir sur le milieu: une canne à lancer télescopique avec moulinet et divers leurres, filet à crevettes…

Sans oublier : la trousse à pharmacie, le nécessaire de réparation et aussi bouquins, appareil photos, carnets pour dessiner ou réaliser des aquarelles…

Nos kayaks ainsi équipés et chargés du matériel et de la nourriture pèsent environ 90 kg et offrent une autonomie de une à deux semaines.

Pour déplacer nos navires sur le plancher des vaches sans nous casser le dos, ne pas oublier l’indispensable petit chariot qui se range derrière le siège une fois démonté.

Lire dans le n° 102 CK/mer (sept. 2004) : [ Historique des « Tours de Bretagne en kayak » Liste non-exhaustive des randonnées de plus de 10 jours le long des côtes bretonnes] par Guy Lecointre.

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