Fred et Isa ont proposé à CK/mer, le weekend du 28 et 29 juin, de découvrir le phare de Cordouan et les falaises de Meschers. Merci à eux, et à Stéphane pour le beau compte-rendu.



Dans la bibliothèque des expériences : le paradis des enfers
Un récit et les photos de Stéphane Lebreton
« Qu’est-ce qu’un processus initiatique, sinon cette dynamique, singulière et plurielle à la fois, qui permet à celui qui navigue de devenir, hors de l’espace et du temps, acteur et spectateur de lui-même ? Qu’est-ce, sinon cet élan qui projette un (navigateur) à la poursuite de son propre être pour trouver, au-delà de son image, celle de l’autre en toutes ses différences » écrit Joël Gregogna dans l’ouvrage « Corto l’initié » dans la partie sur la mer.
L’esprit de Hugo Pratt, en particulier dans le monde de Corto Maltese, me tient particulièrement à cœur. J’y accueille tout : aussi bien les fulgurances lumineuses que les zones d’ombres. Alors, forcément, quand j’ai lu cette phrase, je m’y suis arrêté. Je me suis alors demandé ce que pouvait être une belle navigation, au-delà des paysages, des observations de l’environnement, des conditions techniques ? Elle tient, me semble-t-il, avant tout aux rencontres que l’on peut y faire et éprouver. Plus que cela, elle est peut-être un processus de transformation. On ne sort certainement pas d’une navigation de la même façon que l’on y est entrée. C’est une évidence, d’abord à titre individuel. On s’est, en quelques heures, dépouillé de ses appréhensions, de ses effets de manches, de ses prétentions, de sa condition sociale. Cette mutation est tout aussi vérifiable pour un groupe. Il était possiblement constitué avant. Il s’éprouve pendant. La mer est un élément actif qui modifie les relations. Sa fréquentation oblige non seulement à la modestie, mais aussi à l’attention portée à l’autre. On se retrouve à la fois acteur de sa navigation et spectateur de ce que la mer produit sur les autres et sur soi face aux conditions rencontrées. Et il y a sans doute bien d’autres choses qui se jouent qui sont du domaine du sensible, difficilement explicable ou perceptible sur le moment. Dans ce contexte, j’accepte cette idée de processus initiatique. Chaque navigation un peu engagée initie. Chaque navigation un peu chahutée entre, selon les termes de Fred, dans notre bibliothèque personnelle des expériences.
Dans ma bibliothèque des expériences, le week-end de l’estuaire de la Gironde prendra une belle place. Isabelle et Fred, assisté de Rémi, ont proposé une navigation pour découvrir le phare de Cordouan le premier jour et les falaises de Meschers le second. Nous étions neuf à être tentés par cette proposition. Pauline et Pascal sont venus de Vendée. Ronan, en presque voisin, est descendu de la Rochelle. France et Dominique se sont aventurés au-delà des confins bretons. Nous étions quatre angevins, avec Karine, Hervé et le rhum arrangé. Le programme était très alléchant. Tout de même, aller à la rencontre du « Roi des phares et du Phare des rois », c’était immanquable. C’est l’une de ces destinations qui me donne ou qui m’a donné envie de faire du kayak. Un de ces lieux qui me fait dire régulièrement : « là-bas, soit j’y vais en kayak, soit je n’irais pas… ». Un de ces lieux que je souhaite connaître par le rapport à la mer. Un de ces lieux que je ne veux pas consommer, mais bien mériter : l’approcher par l’effort du corps.
Samedi – Phare de Cordouan
Le samedi matin, nous nous sommes retrouvés sur la plage de la conche de Saint-Georges de Didonne vers 08h45. La pleine mer était à 08h09, la basse mer à 13h36, le coefficient à 85.
Fred nous a expliqué, schéma dessiné sur le sable à l’appui, la formation du bassin sédimentaire aquitain et les caractéristiques de l’estuaire. Isabelle a abordé les particularités du parcours. Nous avons commencé la navigation vers 9h. Nous avons alors fait un bac, direction Ouest, Sud-Ouest, jusqu’à la balise verte qui se tient pratiquement à la hauteur de la pointe de Grave. De là, nous avons changé de cap pour atteindre une nouvelle bouée verte du chenal au Nord, Nord-Ouest. Nous avons ensuite continué en direction du phare, en passant entre deux bancs de sable, absents de ma carte marine (mais qui peut correspondre à la mention « fonds moindres »). La météo a été particulièrement clémente. Nous avons bénéficié de conditions exceptionnelles au dire des habituées du secteur, même si on a pu sentir déjà la puissance des courants. L’organisation a été si bien pensée que nous avons débarqué entre deux navettes de touristes. Et grâce à Isabelle qui avait prévenu les gardiens du phare, nous avons pu profiter des explications très intéressantes de Pierre, l’un des deux gardiens présents qui nous a accompagné sur les trois premiers niveaux du bâtiment. Cet « aîné des phares » était bien sûr dans la typologie des gardiens un « enfer ». Mais il a été considéré, nous a raconté Pierre, comme le « paradis des enfers » grâce à la beauté de sa conception. Par sa silhouette, l’architecture du bâtiment fait penser au phare d’Alexandrie, situé sur l’île de Pharos (comment un toponyme devient finalement un nom commun).





Pendant la navigation, j’ai pensé à Protée, le « Vieux de la mer » des Grecs, divinité marine, gardien des troupeaux de phoques de Poséidon. Son domaine était sur l’île de Pharos justement. Retrouverons-nous son élevage près de Cordouan ? Pharos était aussi pensé comme une porte mettant en relation l’étendue maritime et l’intérieur des terres par le fleuve. Comme les portes de villes ou les limites de frontières, cette porte maritime se devait d’être majestueuse. C’est ce que nous a expliqué Pierre. La construction devait marquer de façon monumentale la limite océane d’un royaume de France catholique sous le règne d’Henri III, puis d’Henri IV, alors que l’Aquitaine était redevenue française un siècle auparavant et qu’elle était terre de réforme. Anastase Raymond (dans le très beau livre écrit avec Renée Leulier, « Le phare de Cordouan, ‘huitième merveille’ baroque et moderne ») explique que si Cordouan a souvent été affilié au phare d’Alexandrie, l’architecte, Louis de Foix, ne semble pas avoir été inspiré par les représentations de son temps de la tour égyptienne. Peu importe, Protée est bien dans les parages. Ce dieu méconnu est digne d’intérêt. Les Grecs lui ont attribué la faculté de changer de forme à l’envi. Son nom a donné le terme de « protéiforme » avec la connotation de « polymorphisme spontanée ». C’est bien ce qu’est l’entrée de l’estuaire à cet endroit avec la formation et le déplacement des bancs de sable : une zone protéiforme. D’une certaine façon, c’est aussi ce que rappelle la page Facebook des gardiens de Cordouan. Quelques heures après notre départ cinq plaisanciers se sont fait piéger sur le banc de sable près du phare.
C’est justement sur ce dernier que nous avons pique-niqué. Ce banc de sable a pour nom « l’île sans nom ». De fait, son manque d’identité devient paradoxalement son identité. Borges n’est pas très loin.



l’estuaire est une bien vaste étendue, une bien grande échelle pour nos petits kayaks, avec de surcroit des repères difficiles, d’où l’importance du repérage des amers auxquels notre « bateau solidaire » s’accrochait bien fort via les consignes des 2 chefs de bords 😉
Fred
Avant de revenir vers Saint-Georges, Rémi a proposé de faire le tour du phare par l’Ouest à travers les déferlantes constituées par les hauts fonds rocheux de l’île. Il est accompagné de France, Ronan et Hervé. Une fois l’équipe reconstituée, nous filons vers Royan avec la montante, en nous faufilant d’abord entre les deux bancs de sable, terrain de shore break. Le retour est plus engagé. Et nous dérivons progressivement jusqu’à nous rapprocher de la deuxième balise verte du trajet aller. Nous visons tout d’abord le phare de la Vallières, puis un immeuble blanc dans la conche de Saint-Georges, plus à l’Est. Malgré nos efforts, nous continuons de dériver vers le cours du fleuve. J’y ai d’ailleurs ma part de responsabilité, parti un peu trop vers l’Est. En se rapprochant de la côte, on peut croire que ça va se calmer. Ca s’accentue au contraire. Aux abords de la pointe de Suzac, ça remue dans tous les sens. L’équivalent d’un bon force 4. Le groupe s’éclate et s’éparpille. Au-delà, vers la plage, la situation est plus calme. Mais il faut réussir à atteindre la zone. J’ai l’impression de faire du surplace. Des vagues s’éclatent sur le pont et me déséquilibrent régulièrement. Chercher l’appui, le mouvement de hanche. J’entends vaguement à la VHF qu’un tel, puis un tel est passé. Près de la falaise de la pointe, ça paraît mieux passer. Je m’y réfugie. C’était une bonne solution. Pauline prévient qu’avec Pascal, ils n’arrivent pas à nous rejoindre. Ils décrochent. Rémi repart pour les aider, avec Isabelle restée en arrière. On ira les chercher avec la remorque une plage plus loin. Ils ont assuré nos organisateurs face à cet imprévu ! Ca soude le groupe ce genre de circonstances. Nous en avons tiré également une leçon : il faut toujours bien lire les indications des guides. L’auteur de « La côte aquitaine en kayak de mer » nous avait pourtant prévenu : « Les courants peuvent être importants, voire violents, en particulier vers la pointe de Suzac. Pour peu que le vent souffle à contre, le fleuve devient une mer agitée avec le ressac sur la côte à falaises ».
L’apéro était bien mérité ce soir-là. Je crois que l’on s’en souviendra aussi.
Dimanche – les falaises de Meschers
La deuxième journée a été plus tranquille. La pleine mer était à 08h42, la basse mer à 14h31, le coefficient était de 79. Nous sommes partis vers 09h30. Nous avons remonté le fleuve assez rapidement jusqu’au port de Meschers. Au retour, nous avons pris le temps de contempler les carrelets et les fameuses falaises de Meschers dont Fred nous a fait l’historique. Ce paysage, adapté par l’homme, est, à lui seul extraordinaire. Plusieurs troglodytes de falaises sont des habitations régulières. La chaleur de la mi-journée nous a poussé à rechercher la fraicheur calcaire. Nous avons déjeuné à l’ombre d’une falaise sur une plage accessible seulement par la mer. Ronan nous a alors gratifié de ses connaissances ornithologiques. L’après-midi a été consacré à des exercices bienvenus, entre reprise de courants et esquimautage. Vers 15h, nous étions de retour sur la plage de Saint-Georges. Enfin… pas tout à fait. France nous a formé au haka des kayakistes. Ce sera à découvrir au gré des prochaines sorties. Son succès futur me parait assuré. Pauline pourra le confirmer.






Ce week-end charento-girondin a été une vraie réussite. Fred et Isabelle sont des organisateurs hors-pair. Rémi a apporté une aide précieuse. Et le groupe a merveilleusement fonctionné. Si cela peut donner envie aux Bretons de descendre vers le sud…
« Vous avez vu les dauphins ? »
Deux ateliers le dimanche après-midi 🐬 :
- pour l’aisance : reprise de courant, amélioration de la gestuelle et de la glisse, travail d’aisance dans les courants
- esquimautage
Pour en savoir plus
Les références de Fred :
- Sur le Phare de Cordouan : Phare de Cordouan – Site officiel
- Sur les falaises : Les grottes troglodytiques de Meschers – Destination Royan Atlantique
- Sur l’estuaire : le site du département de la Gironde : C. L’estuaire et ses rivages
Et…
- Frédéric Gilbert « La côte aquitaine en kayak de mer »
- Anastase Raymond et Renée Leulier, « Le phare de Cordouan ‘huitième merveille’ baroque et moderne ».
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