De l’estuaire de la Loire au Croisic : « Manu, reviens à Saint-Nazaire ! »
Compte-rendu et photos de Stéphane Lebreton
« Quand je roule en dessous de mon rythme, j’en chie grave ». Deux jours après ce week-end de navigation de Saint-Nazaire au Croisic, j’ai rêvé que l’on m’obligeait à faire du vélo sur les côtes bretonnes. Quelle étrange idée ! J’ai peut-être été marqué par cette révélation qu’une cycliste faisait à sa compagne alors qu’elles roulaient rapidement – certainement à son rythme – tandis que nous les évitions de justesse en portant les kayaks sur la plage. C’est fou ce qu’il y a de cyclistes et de coureurs sur les sentiers littoraux. Un vrai trottoir roulant. On est beaucoup plus tranquille sur l’eau. Le risque de collision est nettement moins fort. Et puis, on en « chie » moins…
Françoise a réitéré cette année sa proposition de naviguer aux abords de l’estuaire de la Loire. Cela me tentait bien depuis l’année dernière. Certes je trouvais le choix de nous faire partir de Saint-Nazaire un peu curieux. J’ai beau me méfier des clichés, ceux-ci ont quand même la vie dure. Ce port est tellement associé aux représentations entremêlant chantiers navals, zones industrielles et eaux aussi boueuses que limoneuses. Il faut dire que certaines lectures n’aident pas. Dans « Le combat ordinaire », Manu Larcenet retrace la vie d’un photographe dont le père, ancien ouvrier, métallo sur le carreau, est en train de perdre la mémoire en regardant au loin les cargos. On y lit cette réplique de la mère apostrophant son fils qui revendique ses racines nazairiennes : ton père « il n’était même pas d’ici ! Sa famille est arrivée dans le coin parce que planter des clous en Lorraine, ça leur permettait plus de vivre. Alors tes racines là, c’est du folklore, du cache-misère romantique pour dire de jolie manière qu’on a suivi les migrations industrielles comme les mouettes le chalutier. Histoire de grapiller les restes… » Je n’étais donc pas très chaud pour Saint-Nazaire. Mais le reste m’intéressait diablement. Dans le « Guide kayak de mer, Bretagne », Véronique Olivier et Guy Lecointre établissent un itinéraire le long de la côte sauvage du Croisic jusqu’au Pouliguen. En termes de difficulté, celui-ci est classé de deux à trois étoiles. Mais comme le classement va jusqu’à trois, il est difficile de se faire une idée très précise. En commentaire sur la sécurité, les auteurs avertissent sur les risques des « roches affleurantes sur l’ensemble de la côte » et sur « les nombreux endroits où les vagues déferlent sans prévenir à la descendante ». J’étais curieux de voir ça. Être guidé par une personne qui connaît bien la côte est tout de même plus rassurant. C’est ce que permettent les rencontres au sein de CK/mer.
Autant le dire tout de suite, j’ai été séduit par l’ensemble de la navigation. Saint-Nazaire n’est en rien l’image sombre que j’en avais (j’arrête de prendre du Manu Larcenet en intraveineuse, surtout que son dernier album, adaptation de « La route » paraît être un guide pour suicidaire…) Et le reste du littoral est somptueux, même si on sent bien que ça doit taper dur les jours de mauvais temps. La côte doit rapidement devenir hostile. Heureusement, nous avons bénéficié d’une météo exceptionnelle.
Jour 1
Le samedi matin, Françoise nous avait donné rendez-vous à 9h30, à la Bougeole. Nous étions douze (outre Françoise, le groupe était composé de : Florence, Fabienne, Antoine, Pascal, Claude, Jean-Luc, Mélanie, Véronique, Jacques et Karine). Il était prévu que nous soyons sur l’eau à 10h15. La marée commençait à descendre depuis 8h04. Nous avons profité de l’évacuation de l’embouchure de la Loire. Nous n’étions pas les seuls à flairer le bon coup : d’athlétiques pagayeurs de va’a s’empressaient de prendre le départ au son d’une musique entrainante et tonitruante. Françoise nous a proposé de longer la côte jusqu’à la Pointe de Chemoulin, en passant par la Pointe d’Aiguillon. Il est surprenant de croiser des installations sur pilotis pour la pêche aux carrelets à cet endroit. Je pensais cette technique propre aux rives de la Charente et de la Gironde. Certaines des cabanes sont devenues de petits appartements avec vue sur le large. A partir du sémaphore de Chemoulin, nous avons filé droit vers le phare du Grand Charpentier.
La mer était parfaite, juste un peu de houle. De là, nous avons obliqué vers le nord-ouest en direction de l’îlot de Pierre Percée, au nom justifié, puis vers le banc de sable des Evens. Après deux heures et demie de navigation, il était l’heure de casser la croûte. L’île était pour nous, immaculée en dehors des traces de ses habitants réguliers. Las, deux zodiacs ont débarqué nombre de jeunes gens. Il paraît cependant que c’est bien pire en été. Je veux bien le croire, avec une telle localisation : en face de la Baule. « La Chine, je vous dis ! ». Plusieurs minutes après, nous avons eu la surprise de rencontrer un groupe de kayakistes du CNB, conduit par Yves, qui naviguait à la journée. Leur programme était pratiquement similaire au nôtre. Les Evens sont un point nodal pour kayakistes. L’après-midi, nous avons tracé en ligne droite jusqu’au port de Pornichet. En suivant le rivage, nous sommes revenus à notre point de départ. Nous nous sommes arrêtés cependant sur une plage derrière la Pointe d’Aiguillon. Ici, Claude a proposé un exercice de sécurité. Et quelques rolls après, nous avons déposé, en douceur, nos kayaks sur la plage de départ. Un grand soleil nous a accompagné tout de long de notre course. Nous n’allions pas le quitter ainsi. A la suggestion de Françoise, nous sommes allés boire une bière, en terrasse, sur les quais du Grand Traict. La journée s’est ensuite terminée dans une pizzeria du Poulinguen, aux productions copieuses. Je me suis rendu compte bien après qu’en cette journée nous étions passés près de la plage de Saint-Marc-sur-Mer, autrement dit : la plage de Monsieur Hulot. C’est cette dernière que Jacques Tati avait choisie pour filmer une séquence de son film « Les vacances de Monsieur Hulot ». Et déjà, l’acteur et réalisateur affrontait la mer à bord d’une périssoire. Le défi était de taille…
Jour 2
Notre navigation s’est poursuivie le lendemain un peu plus loin vers l’Ouest. Nous abordions véritablement la côte sauvage. Le rendez-vous était prévu à la même heure : 9h30. Fabienne, fragilisée à l’épaule, a préféré être prudente et ne pas repartir. Elle nous suivrait le long de la côte, par la terre. Geneviève, Jean-Pierre et Armel nous ont alors rejoint. Le ciel était non seulement couvert, mais le temps était plus frais. La houle nous a empêché de nous rapprocher de la côte, au moins dans un premier temps. Au port de Batz, nous avons fait une pause, certains en débarquant par des envies pressantes, les autres en restant sur l’eau. Même par temps calme, ça bouge pas mal dans ce mouillage, pourtant protégé par une digue. On devine que c’est là une protection dérisoire et qu’elle existe parce que c’est la seule entre le Pouliguen et le Croisic. Mais en cas de mauvais temps, ce port parait ne protéger de rien du tout… A partir de ce point, la côte est magnifique jusqu’à la Pointe du Croisic. Des petites falaises, surmontées de belles demeures. Le guide du kayak de mer indique que c’est un paradis du rase-cailloux. On veut bien le croire : on en a eu un aperçu sur le retour. Nous nous sommes arrêtés à Port aux Rocs pour la pause méridienne. En guise de port, il s’agit d’une petite anse sableuse entourée de rochers. Au large, on devine l’île Dumet. Fabienne, accompagnée du soleil, nous y attendait. Celui-ci ne nous a plus lâché jusqu’à la fin de la journée. Le bain a été une tentation qui est vite devenue réalité pour Florence et Fabienne. C’est certainement aussi pour cette raison, qu’en fin de parcours, Françoise nous a proposé quelques surfs dans la baie du Poulinguen. Exercice qui nous a permis de saisir que l’hiloire du Reval Tahe Marine était curieusement agencé et pouvait s’avérer stressant. Merci Armel !
« Une petite bière avant de partir ? »
On sait que les lendemains seront durs et pourtant on y va. C’est tellement extraordinaire de profiter de pareilles navigations. On se couche, au retour, alors que la houle a imprégné nos corps. Plus encore, on bénéficie des rencontres et des partages. Là encore, le groupe était parfait. La magie de CK/mer a, de nouveau, opéré. On souhaite juste repartir entre une plage de travail, que dis-je : un tiret d’union. Merci Françoise pour cette découverte et pour cette mise à bas des stéréotypes : « Manu, reviens à Saint-Nazaire ! »
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