La Corse du Sud : de Propriano à Porto Vecchio en kayak de mer

La Corse du Sud : de Propriano à Porto Vecchio en kayak de mer

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LA CORSE DU SUD
Par François Lescuyer (dit « Paco »)

Article paru dans le bulletin CK/mer n° 120 de janvier 2009, p. 16 à 21.

Propriano – Porto Vecchio en kayak de mer, du 21 juin au 04 juillet 2008.

« Tu es si belle, …. je reviendrai te voir. Je te le jure »

Il y a tout juste deux ans, nous venions de terminer un périple magnifique entre Cargèse et Calvi. Alors que le ferry nous ramenait sur le continent, mon regard se posait sur les côtes de Balagne.

À ce moment, la gorge serrée par l’émotion des grands départs, j’avais susurré à cette île depuis le pont de ce bateau : « Tu es si belle, …. je reviendrai te voir. Je te le jure ».

Il y a quelques mois, nous avions arrêté l’itinéraire avec Manu et Olivia : le Sud, depuis Propriano jusqu’à Porto-Vecchio, mais avec un mode de transport aussi simple qu’économique : le kayak sur chariot. Ainsi, finis les coûteux embarquements en voiture sur le ferry, finies les manips interminables et les kilomètres inutiles : Nous laisserions les voitures à Marseille, embarquerions nos kayaks dans le ferry en les poussant à la main comme des vélos (c’est d’ailleurs leur qualité sur leur titre de transport).

Vue la date avancée de la randonnée, seul Guilhem a pu nous rejoindre afin de compléter ce petit groupe. Ainsi, nous serons quatre pour ce périple.

Puis, un matin, j’ai enfin bouclé mon sac et fermé la porte de ma maison. Le rêve devint alors réalité, avec un billet de bateau en poche, et un kayak qui attend au fond d’un hangar…

MARSEILLE (Le 21 juin)

Après 1000 km, deux voitures, quatre kayaks sur leurs toits, se fraient un passage dans le dédale du port autonome jusqu’au Girolata. À bord, nous chargeons méticuleusement les caissons de nos kayaks sous le regard intrigué d’un matelot maghrébin et d’un officier breton. Il s’agit de ne rien oublier, tout en laissant suffisamment de place pour les victuailles que nous achèterons en Corse. L’exercice est périlleux. Après quelques questions sur l’objet de notre aventure, c’est rapidement un moment d’échange et de respect mutuel qui s’installe avec les hommes d’équipage. Nous avons droit à un thé à la menthe absolument délicieux et bien rafraîchissant par cette fournaise (35°c). Olivia s’en fait même révéler la recette, tandis que l’officier nous confie un endroit sûr où garer nos véhicules pour 15 jours.

Notre ferry appareillant 3 heures plus tard, nous partons déjeuner en plein milieu de l’après-midi, derrière les docks. Une fois passés sous l’autoroute qui sillonne la ville, après avoir traversé des boulevards presque déserts bordés par des terrains vagues écrasés de chaleur moite, nous découvrons un quartier vivant et chamarré, aux allures de Bab-El-Oued. Un bar PMU enfumé malgré les décrets parisiens, un patron accueillant qui nous propose un vrai repas, avec un vrai sourire, un écran géant assiégé de turfistes empressés, le mégot au bec et un billet de tiercé froissé dans la main, finissent de nous dépayser. Dans l’entre deux portes, un délicieux vent coulis rafraîchit nos nuques alors qu’un frugal steak-salade-frites cale nos estomacs.

Marseille est une porte unique vers la Méditerranée. Elle donne autant qu’elle reçoit ; sait faire échanger ; donne à qui sait regarder et reçoit de celui qui pose ses yeux sur elle.

Dans un tremblement d’acier, le mastodonte s’arrache du quai. Depuis le thé vert offert dans la soute, nous étions de toute façon déjà bien loin de notre point de départ.

PROPRIANO (Le 22 juin)

Une douce lumière tire le petit port de son sommeil matinal. La mer est calme et, dans les collines, le maquis s’éveille tranquillement. Nous débarquons, nos kayaks à la main. Le chemin semble tout tracé : à 50 mètres du port, le café du port et 100 mètres plus loin, la plage. Il faut savoir reconnaître son biotope !! Après un petit-déjeuner copieux, déjà à l’ombre de la tonnelle, un premier bain s’impose. Nous sommes dimanche et les courses au supermarché attendront lundi pour cause de retard d’autorisation préfectorale. Nous sommes donc « condamnés » à lézarder sur place !! Un véritable calvaire, vu l’eau à 23°C et un soleil omniprésent. Néanmoins, nous ne résistons pas à la tentation d’aller tâter la grande bleue du bout de nos pagaies et nous offrons une petite virée dans le golfe de Valinco.

Du bleu dessus, dessous, un soleil éclatant, une mer calme…j’en oublie vite la jupe et le gilet pour pagayer en liberté.

La pause de midi sur une plage déserte nous donne l’occasion d’essayer l’abri solaire tout neuf conçu et confectionné par toute l’équipe : une toile de k-way achetée au mètre, des oeillets, 4 arceaux, autant de drisses et de sardines, et le tour est joué. Nous pouvons siester comme des autochtones : à L’OMBRE !!

PROPRIANO-CONCA (24 km) Le 23 juin

Le réveil sur la plage est plus que matinal. « Décalage horaire » aidant (le soleil se lève à l’est), les premières lueurs de l’aube pointent dès 05h15 !! Mais l’appel du duvet l’emporte pour deux heures de sommeil supplémentaires.

Nous quittons notre plage pour rejoindre en kayak notre quartier général (le Café du Port…) Après un petit-déjeuner englouti, Guilhem, Olivia et moi partons vers les hauteurs de Propriano jusqu’au supermarché. Comble du luxe, le directeur avec qui j’avais pris contact auparavant, aura l’amabilité de nous ramener (avec nos victuailles) au port avec sa voiture. Cet homme est charmant et le supermarché s’appelle Casino (et tant mieux pour la pub !).

Les kayaks remplis de denrées, nous entamons véritablement notre périple avec, en ligne de mire la tour génoise de la pointe de Campomoro. Les paysages défilent au rythme de nos pagaies dans une trilogie verte ocre et bleue déclinée dans toutes les nuances. Un vent chaud vient bercer nos narines de notes de myrte, d’arbouse et de genévrier. Le maquis est à toucher, l’eau invite irrésistiblement à la baignade pendant la pause méridienne. Derrière mon masque et mon tuba, l’eau cristalline me laisse admirer les fonds sous-marins. Oui, nous y sommes vraiment !!

Nous avalons les kilomètres sur une mer calme jusqu’à la pointe d’Eccica où nous laissons tremper nos lignes de pêche derrière nos kayaks dans la lumière scintillante de fin d’après-midi. Manu et Guilhem s’offrent le tour du rocher et… bingo !! : Manu dégote un barracuda de belle taille (75 cm). Après avoir été occise sur le pont du kayak, la bestiole finit dans l’hiloire. Dans quelques heures, elle agrémentera notre dîner. Après les congratulations d’usage, nous ignorons que cette prise sera la seule de notre voyage.

Nous rejoignons Conca, une crique tranquille dans laquelle mouillent deux voiliers, et préparons notre repas. Un poulpe s’invite au festin de la tripaille du barracuda ; il n’en demandait pas tant !! Pendant ce temps, Manu découvre une source non loin de là pour s’y dessaler convenablement.

Un peu plus tard, dès le soleil couché, les moustiques attaquent en rang serré. Je m’enduis de lotion à la citronnelle, certains préfèrent se couvrir : ils compteront leurs piqûres le lendemain !!

CONCA-ROCCAPINA (25 km), le 24 juin

Sur une mer calme, nous longeons la côte d’où nous surplombent des rochers majestueux, savamment sculptés par le vent. Leur belle couleur nous rappelle la côte de granit rose, … avec 15 degrés en plus ! Les cormorans, fins pêcheurs, nous incitent à tremper la ligne une nouvelle fois, mais il faut se rendre à l’évidence : ces oiseaux sont bien plus doués que nous !! Un balbuzard nous charme de son vol sans effort, tandis que le vent commence à forcir à cause des thermiques. Il est à peine 11 heures. Du haut de son vieux ketch, un plaisancier peu téméraire nous déconseille de poursuivre tant nos embarcations lui semblent frêles. Mais nous aussi sommes sur des BATEAUX !!

Nous décidons de pousser jusqu’à la plage d’argent, un écrin de sable blanc baigné d’eaux bleu turquoise. Nous nous réfugions sous un chêne vert tant le soleil est brûlant. Chacun de ses rayons semble mordre ma peau, alors qu’un vent du sud emplit mes poumons à m’en faire presque suffoquer. Le seul salut est dans l’eau.

Eole semble jouer entre bonnes brises et accalmies teintées de directions changeantes. Nous prenons la mer tout de même avec, au menu, deux pointes à passer : celles de Murtoli et de Roccapina. Une houle de sud forme de jolies vagues croisées avec un clapot renforcé par un vent sud-est force 3-4 et des rafales parfois supérieures à 20 nœuds. Mon kayak est bien lesté à l’avant, son étrave bien calée au creux des embruns. Par contre, il faut tenir le cap, car son nez ne demande qu’à lofer sur le haut de chaque vague croisée. Nous serrons les rangs, nous abritons derrière les pointes sans trop nous rapprocher des cailloux. Plus personne ne parle, nous sommes concentrés sur notre navigation.

Le passage de Roccapina est plus impressionnant encore, et nous décidons de piquer droit vers la première plage. L’arrivée se fera au surf et nous serons ravis de toucher terre sans encombre. Mais la fatigue est là, les jambes bien fourbues par l’effort et la tension. Au-dessus de notre campement, le Rocher du Lion trône et domine la baie de sa tête de félin couronné.

ROCCAPINA-ECUEILS DE FIGARI (23 km), le 25 juin

En milieu de matinée, nous musardons vers les îles Bruzzi, véritable dédale de récifs quasi inaccessible aux bateaux, et qui abrite centaines de goélands criards et furieux d’être dérangés par les intrus que nous sommes en cette réserve naturelle. Nous nous abritons dans une crique le temps d’échanger avec un kayakiste local. Soudain, un bateau fend l’eau à vive allure, slalome entre les rochers pour s’avancer vers nous. C’est le patrouilleur de la réserve des Bouches de Bonifacio, Parc marin international qui nous explique courtoisement que le site est protégé et nous demande de quitter les lieux. Nous obtempérons et nos gardiens nous conseillent même un endroit pour pique-niquer non loin de là. Voici de la pédagogie bien menée.

En quittant le site, un couple de goélands me nargue depuis son nid : celui de balbuzards sans doute, bien trop grand pour eux ; ils ressemblent à des nouveaux riches venant de s’offrir un château du XVIIIe siècle !!

Un peu plus tard, à la recherche d’un lieu de bivouac, les couleurs du soir illuminent les rochers aux formes improbables : silhouettes d’animaux, statues échappées tout droit du musée Guggenheim. Y aurait-il une âme derrière ces monstres de granit ?

La plage où nous passerons la nuit est, comme toutes celles de la baie de Figari, à deux pas d’un grand marigot. Alors que nous occupons la plage, les gardiens de la réserve s’avancent vers nous, je lis dans leurs yeux l’envie d’un brin de causette… Et ils annoncent tout de suite la couleur : « les kayakistes ne sont certainement pas ceux qui polluent le plus… !! » Un climat s’installe alors, fait de respect, de confiance réciproque, d’expériences échangées, de rires et d’œillades complices quand les quarts et timbales remplis de pineau tintent à notre santé mutuelle autour d’un apéritif improvisé. Nos hôtes-invités prennent congé, non sans nous avoir indiqué quelques bons plans de bivouac sur des cartes de la réserve qu’ils nous offrent de bon cœur.

Réjouis par cette rencontre enrichissante, nous avalons notre repas en quatrième vitesse sous les assauts insupportables des anophèles. Ceux-ci nous vampiriseront toute la nuit.

ECUEIL DE FIGARI-BONIFACIO (21 km), le 26 juin

Alors que nous prenons la mer, pas un souffle d’air. Nos kayaks glissent sans bruit sur un miroir bleu. C’est une atmosphère complètement irréelle qui inspire la plus grande quiétude. La surface liquide et le ciel plombé par la brume de chaleur se reflètent l’un l’autre pour mieux se confondre dans une ligne d’horizon presque imaginaire. Seules nos étraves troublent l’onde. Puis ce silence, si infini qu’on en écoute l’aile d’un goéland glisser sur le ciel, la pagaie plonger pour s’appuyer en silence une brasse plus bas… .

Passé le redouté Capu di Feno, les falaises de calcaire tranchent subitement avec les rochers de granit ocre qui nous étaient si familiers. Je cherche encore dans ma mémoire les indices annonciateurs de cette incohérence géologique !!

Nous entrons dans l’anse de Fazzio : un lagon d’eau turquoise ceint de falaises d’un blanc éclatant. Le rêve absolu s’il y avait un coin d’ombre. Guilhem m’invite sur le promontoire qu’il a découvert et duquel – à plus de 20 mètres au-dessus de l’eau- on admire ce coin paradisiaque. Manu est parti se rafraîchir dans l’eau transparente, et Olivia quant à elle, est allée explorer ce qui ressemble au campement provisoire d’un club de voile. Notre ambassadrice a visé juste !! En ancienne des Glénan, elle a convaincu sans peine le chef de base à nous inviter sous une tonnelle pour nous abriter du soleil. Le déjeuner est délicieux, et surtout ASSIS à une table. Mes vertèbres quadragénaires implorent un minimum de repos et de confort après quatre jours passés sur des rochers durs !!

Après une énième baignade, Manu nous relate sa rencontre avec Jojo le mérou, une jolie bestiole qui vous surprend par sa taille quand on est plutôt habitués à scruter les petits poissons.

Nous repartons vers la citadelle accrochée à sa falaise en essayant de nous frayer un passage sur cette autoroute maritime. Les bouchons de liège que nous sommes au milieu de ce trafic fait de vagues et de contre-vagues font la curiosité des touristes, surtout quand ils nous découvrent au fond d’une grotte marine. L’odeur de gasoil devient vite insupportable et nous filons vers le chenal, coincé entre les falaises de craie. Au fond du port, nous cherchons désespérément une cale et tournons en vain au milieu des yachts et autres mastodontes. Débarquer au plus vite, je ne me sens pas à l’aise. Un employé de la capitainerie nous indique finalement un coin qui fera l’affaire, tout au fond du port vers les ateliers de réparation. Après quelques emplettes dont un anti-moustique efficace, nous fuyons à toutes pagaies cette clinquance suffisante, pour trouver refuge dans une crique adorable juste à l’entrée du port.

BONIFACIO-ILES LAVEZZI-PIANTARELLA (24 km), le 27 juin

Nous quittons la cité funambule au petit matin pour longer les falaises rongées par les embruns. Le clapot est vif, mais nous permet d’admirer les maisons accrochées au-dessus du vide telles des trapézistes immobiles. Regarder au-dessus de moi dans une mer agitée par le ressac me donne le vertige. Avant Pertusato, un magnifique paquebot calcaire semble sortir tout droit d’un dépliant pour croisières minérales, puis un petit cirque ou grotte à ciel ouvert, parfaitement circulaire, dont l’entrée étroite ne permet que le passage d’un kayak. Nous profitons de la quiétude, de la fraîcheur et du charme de cet endroit avant de faire cap au 120 sur les îles Lavezzi à 6 kilomètres de nous, en plein milieu des Bouches de Bonifacio. Bien des reportages télé, sur Thalassa notamment, avaient fait l’éloge de cet archipel granitique, aux criques protégées et aux eaux turquoises. Nous en rêvions !! Le problème est que beaucoup de gens regardent le petit écran !!

Nous découvrons alors qu’un paradis perd vite de son charme quand il est surpeuplé. Ici une crique envahie par des yachts et ses plages de midinettes huilées sous les parasols, plus loin un « promène couillon » d’où plonge une clientèle plus populaire : tout le monde à droit à ses Lavezzi !! Nous faisons le tour de l’île en quête d’une plage inaccessible, c’est peine perdue, et nous nous entassons comme les autres, avec les autres, sur le sable brûlant où un public bruyant s’ébat dans l’eau tiède. Faire six kilomètres à la rame pour s’attrouper, tel Panurge, sur une plage que j’imaginais déserte… oui, je suis vraiment déçu !! Heureusement, les fonds marins nous charment pour qui sait s’y attarder, et, petite fierté : nous sommes passés au sud du phare le plus méridional de la France métropolitaine. J’immortalise l’instant avec Guilhem en me disant que la photo figurera en bonne place sur un des murs de ma chambre.

Nous avançons à l’abri des rochers et remontons vers le nord pour rejoindre la pointe de Sperone. Mais les thermiques de l’après-midi ont encore oeuvré et un bon vent d’ouest force 3-4 accompagné d’un vif clapot nous obligent à modifier notre cap et à forcer sur les pagaies. 4 kilomètres avec ce vent de trois-quart face orné de jolis creux, le retour s’annonce sportif !!

Nous serrons les rangs et accélérons le rythme des pagaies pour augmenter la durée d’appui et, tout simplement… avancer !! Il faut être costaud. Après une bonne heure d’efforts, la pointe de Sperone nous protège enfin de la brise. Nous piquons alors vers Piana, un îlot de carte postale baigné par des fonds turquoise. Nous voici au beau milieu du lagon de Piantarella, qui n’a rien à envier aux eaux polynésiennes. L’eau est chaude, et peu profonde sous nos kayaks (à peine 1m50). Les visages se détendent après l’épreuve de force précédente et une séance photo s’impose dans ce paysage de rêve. Au loin, la paillote de Momo résonne comme un appel désaltérant. Attablés à une épaisse planche en bois, nous profitons de la vue imprenable sur le lagon avant de le retraverser : nous passerons la nuit sur Piana à l’abri des regards indiscrets. Nous nous installons avec délices sur une grève idyllique, mais, passé cinq jours en mer, avec qui plus est deux passages délicats, les organismes sont quelque peu éprouvés. L’atelier bobologie remporte un franc succès : ampoules, érythèmes et irritations diverses nous amènent sagement à nous reposer demain. Au soleil couchant, les goélands se sont enhardis et ont repris possession de la plage, à quelques mètres de notre bivouac.

PIANTARELLA-PLAGE DE MAJALONE (9 km), le 28 juin

Nous profitons de cette journée pour visiter les ruines romaines de Piantarella, juste sous la pointe de Sperone. En plein maquis, les fouilles ont découvert les murs remarquablement conservés d’anciennes demeures romaines. Après un farniente bien mérité sur l’île de Piana, nous abordons la plage de Majalone en fin d’après-midi. L’anti-moustique de la pharmacienne fait des merveilles malgré son odeur prononcée de coppa. Pourtant, Manu après sa 779ème piqûre, décide qu’il contemplera enfin les moustiques depuis l’intérieur de sa tente; moment jubilatoire !!

PLAGE DE MAJALONE-RONDINARA (19 km), le 29 juin

En route vers le golfe de Santa-Manza, nous naviguons en ordre dispersé le long des rochers caressés par la pâle lueur du soleil. Manu trempe consciencieusement sa ligne de pêche, et je m’affaire à démêler les nœuds de la mienne. Quand tout à coup, un spectacle magique s’offre à mes yeux : Olivia et Guilhem suivent un groupe de dauphins. Je remballe mon attirail en vitesse et rejoins mes compagnons de route pour tenter de suivre ces vaisseaux qui s’enfoncent voluptueusement dans l’eau paisible. Emerveillé, je pagaie sans effort : jamais je n’ai fait voguer Cézembre aussi vite et silencieusement. Une bonne quinzaine d’individus, en passant par des très jeunes de moins d’un mètre, taillent tranquillement la route vers les Lavezzi. Moment unique, magique, dont restera à jamais gravé dans ma mémoire le bruit du puissant souffle de l’évent : Fffssscchhtt !!!

Dans le golfe de Santa-Manza, à la faveur d’un léger vent arrière, Olivia et Guilhem accouplent leurs kayaks et fabriquent une voile de fortune : un paréo noué autour de leurs pagaies. Manu et moi trouvons l’exercice amusant et nous prêtons au jeu. S’engage alors une régate acharnée entre deux embarcations aussi lentes que loufoques pour atteindre la rive d’en face : deux falaises immaculées où s’accrochent des pins maritimes. La bataille fait rage sous l’œil ahuri des estivants qui doivent assister depuis leur serviette à la régate la plus lente qu’ils n’aient jamais vue.

Olivia ayant laissé traîner sa ligne de pêche, la faveur d’un hameçon crocheté dans un rocher offre à Manu et Paco une victoire inespérée tant par son résultat que par sa lenteur : 45 mn pour 1.300 mètres !!

En fin de journée, dans la baie de Rondinara, nous zigzaguons entre yachts et baigneurs pour échouer nos kayaks, tout près du sentier qui serpente à travers le maquis et mène jusqu’au camping où nous rêvons d’une douche salvatrice. L’accueil est y délicieux et nous profitons du confort moderne pour presque rien. La Rondinara, une adresse à noter. Charmés par la commodité des lieux et du point de vue, nous profitons des équipements : supérette, bar, restaurant, et finale de l’Euro à la télé en compagnie des campeurs allemands et espagnols. Une parenthèse confortable dans cette randonnée. Un peu plus tard, la Pietra aidant, le retour jusqu’aux kayaks à la nuit tombée et sans lampe-torche est, somme toutes, joyeux et un peu plus long qu’à l’aller.

RONDINARA-PALOMBAGGIA (17 km), le 30 juin

Au réveil, la baie se drape d’une lueur dorée qui scintille jusque dans les haubans des voiliers. Notre petit-déjeuner est agrémenté d’une visite incongrue : un taureau et toute sa petite famille sortent de l’étang où ils avaient passé la nuit pour prendre possession de la plage. Mais l’impressionnant bovin n’est pas belliqueux pour un sou. Après quelques coups de pagaie, la tour de Sponsaglia reflète dans l’eau calme sa silhouette distordue. Plus loin, Santa-Guilia est vendu sur les prospectus comme l’un des plus beaux golfes de Corse. Il le serait certainement sans l’alignement militaire des parasols sur la plage, sans ces engins flottants sortis tout droit d’une série TV des années 70, sans le vacarme des jet-ski ou des bateaux tractant des bouées à une vitesse folle. Bref, Santa-Guilia ne ressemble qu’à un grand parc de jeux aquatiques pour clientèle fortunée en quête de griseries motorisées. Nous restons poliment à l’écart, presque cachés au fond d’une anfractuosité de la côte, crique minuscule où, luxe suprême, nous nous extasions devant la forme si singulière des rochers ; ici un caméléon, là un caniche, comme le feraient des gosses avec les nuages, le tout en dégustant des spéculoos trempés dans un bon café.

Près de Palombaggia, nous prenons un pot dans un café, loin des lounge-bar huppés et dégoulinant les pieds dans l’eau. Quelques minutes avant, nous avions posé nos kayaks sur une plage surfaite, alors qu’un bellâtre écervelé faisait rugir et bouillonner son jet ski au milieu de nos bateaux. J’ai eu beau lui lancer « ça te dérange pas de faire tout ce boucan ? », j’ai juste réalisé que ce sombre idiot ne m’entendait pas.

Vite partir au calme, loin de ce brouhaha superficiel !! Nous trouverons refuge un peu plus loin, juste avant Palombaggia, à la pointe de Colombara

PALOMBAGGIA-ILES CERBICALE-BAIE DE STAGNOLU (GOLFE DE PORTO VECCHIO) (23 km), le 01 juillet

Pour cette dernière étape, Manu, Guilhem et moi nous offrons une traversée jusqu’aux îles Cerbicale, réserve naturelle. Olivia quant à elle, longera la côte et nous rejoindra à l’entrée du golfe de Porto-Vecchio. Le vent énergique m’oblige à juper pour cette dernière traversée. Je surprends mes mains à caler la pagaie de manière quasi automatique et ergonomique, comme si elles avaient été façonnées par le temps, le sel, et le vent…

Les Cerbicale nous offrent un spectacle splendide, une magnifique parade d’oiseaux nichant et dénichés en leur sanctuaire. Goélands, cormorans à toucher, et surtout puffins cendrés, espèce endémique et peu commune. Nous profitons largement de ce moment où on peut se ressourcer par la simple contemplation d’un moment et d’un lieu, un terrain vierge et protégé qui rend mille fois aux hommes le peu qu’ils lui ont consacré.

Olivia retrouvée, le sémaphore et le phare marquant l’entrée du golfe de Porto-Vecchio nous résonnent comme le terme de notre aventure. Nous les abordons avec respect et un semblant de détachement, comme pour moins souffrir de cette fin de vacances qui s’annonce.

De l’autre côté du golfe, la plage d’un camping, les pieds dans l’eau sera le point final de notre randonnée. Depuis mon kayak, j’observe une myriade de caravanes, tentes et auvents, s’avançant presque dans l’eau. Un dernier slalom entre les bateaux au mouillage, un ultime coup de pagaie, et Cézembre s’échoue en douceur sur le sable fin. Puis, à mes côtés, ce même bruit doux et moelleux de l’étrave sur la grève : Olivia, Manu et Guilhem, mes compagnons, en terminent aussi.

A 20 mètres de nous s’ébattent des enfants, tranquillement protégés par le périmètre de baignade, sous l’œil bienveillant de leurs parents qui se font dorer au soleil.

Oui, c’est bien fini.

Nous restons quelques moments avant de débarquer, un peu vidés, en fait, juste pour prendre le temps de réaliser que nous avions accompli un beau périple. Pas un mot, juste des sourires, des regards complices dans lesquels nous pouvions lire les joies, les peurs de chacun d’entre nous, les moindres recoins d’une crique, l’ondulation des algues sous une palme, tout ce que nous n’avons pu, osé nous dire, mais qui nous apparaît simplement évident, comme un dernier langage codé, échangé en secret avant de retrouver la jungle touristique.

BAIE DE STAGNOLU-PORTO VECCHIO (5 km), le 03 juillet

Nous reprenons nos kayaks pour un trajet anecdotique : celui qui nous amènera au ferry pour rentrer dans nos pénates.

Au pied du bateau, l’officier chargé de l’embarquement est fébrile. Le talkie-walkie vissé à l’oreille, il appelle son supérieur sur la passerelle :

– (avé l’accent Corse) : Yves, j’ai un problème…. …. Non c’est pas des vélos, c’est des kayaks, DES K A Y A K S ! ! je te dis, oui…… sur roues en plus ! ! , Mais non ! ! , descends ! Il faut le voir pour le croire ! !

Un officier nous scrute de sa tenue blanche depuis son poste d’observation.

– Alors tu vois bien !! … Bon.. je les mets où ?

HILARES nous traînons nos embarcations jusque dans les entrailles du paquebot où règne une chaleur accablante. Et, comme à l’habitude, nous nous attirons naturellement la curiosité et la sympathie du personnel de cale, celle des soutiers, des sans grade, des « petites mains » avec qui nous échangeons les plus belles images de notre voyage, avec ceux qui arrimeront nos précieuses embarcations pour cette traversée.

Le Monte d’Oro appareille doucement et le commandant nous annonce le trajet de retour. Ce sera par le sud de l’île de beauté, avant de remonter sur Marseille.

Manu, Olivia, Guilhem et moi nous installons de concert à tribord du ferry, une bonne bière à la main. Devant nous va défiler en 4 heures ce que nous avons mis 10 jours à pagayer à la force de nos bras. Une sorte de rembobinage rapide, émouvant, bercé par les lueurs du soleil couchant. Puis, avant d’aborder les bouches de Bonifacio, quand le Bosco nous ouvre l’accès à la passerelle de commandement, c’est un émerveillement, entre les îles Lavezzi et celles de la Madalena, entre Corse et Sardaigne, plein de projets germent dans nos esprits.

Manu questionne le lieutenant sur les risques de la traversée, une autre conversation s’engage, une autre histoire commence…

Entre gens de mer…

[GL]


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