Ecosse – Le tour des Highlands en kayak

Ecosse – Le tour des Highlands en kayak

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Septembre 2008, Patrick Ferrando et François Chouvellon réalisent la circumnavigation des Highlands au Nord de l’Ecosse : 20 jours de navigation hors du temps…

Circumnavigation des Highlands
Par François Chouvellon

Article paru dans le bulletin CK/Mer n° 121
Février 2009, page 11 à 16.

Une nature sauvage à l’état pur

Si l’Europe possède encore une nature sauvage à l’état pur, il faut la chercher dans les Highlands. La rude beauté des montagnes, le silence des champs de bruyère, les indescriptibles horizons, la côte excentrique, et bien sûr…la mer. Lumineuse ou sombre, bien lunée ou en colère, en tout cas farouche et vivante, la mer d’Ecosse est un terrain de jeu fabuleux pour le kayakiste de mer.

Il faut aller voir cette région au moins une fois dans sa vie, ce décor sans fin où tout s’oublie… 

Mardi 2 septembre, nous posons avec impatience nos frêles esquifs sur une mer calme et accueillante, le Loch Linnhe se vide et le courant nous entraîne vers l’ouest, vers l’inconnu, vers une aventure qui va incontestablement marquer nos vies…

Nous tournons désormais le dos à Fort William, le rendez-vous est donné dans quelques semaines, d’ici là il va falloir aller de l’avant.

Nous savons que septembre est un mois délicat pour la réalisation de cette boucle, plus nous traînons et plus nous nous exposons à des risques de mauvais temps et à l’arrivée des tempêtes d’automne. Nous sommes conscients qu’il faut aller vite, exploiter au maximum les fenêtres météo, grignoter des kilomètres dès que cela est possible, et ainsi mettre toutes les chances de notre côté pour limiter ces longues négociations terriennes et désespérées avec le vent… 

Nous bénéficions les premiers jours d’une météo assez clémente et d’un itinéraire sud-ouest relativement protégé du large. Ainsi, nous sommes souvent partagés entre l’envie de prendre de l’avance pendant que la mer nous laisse le champ libre et la peur du problème physique; Car ce dont il faut se méfier le plus, ce sont ces traumatismes insidieux et latents de type articulaire ou tendineux qui une fois déclarés sont irrécupérables.

Notre compagnon, le vent

Nous faisons doucement connaissance avec le pays, sa beauté, sa rusticité. Nous rencontrons le vent, un compagnon d’infortune très présent ici. Lorsqu’il se lève, l’ambiance change, tout devient plus sinistre, plus agité, plus sombre. Vent et kayakiste n’ont jamais fait bon ménage et dans ces moments là je ferme ma capuche et m’isole de cette tourmente, je me déconnecte de la réalité et rejoins un monde imaginaire.

On peut vite se sentir persécuté par ce vent et vivre difficilement sa présence mais si l’on ne peut pas changer les choses, on peut, par contre, changer sa façon de les percevoir. Quant il souffle, c’est qu’il s’en va combler un vide quelque part, il fait juste son travail, il n’y a rien de personnel. Tout comme la mer et ses courants, ses déferlantes, ses caprices,…ce n’est pas un monstre qui cherche à t’engloutir dès que tu as le dos tourné, elle fonctionne d’une façon tellement rationnelle, tellement naturelle.

Et nous, on est là au milieu, on a décidé d’y être. Avec nos petites appréciations, objectives ou subjectives, notre expérience, nos prises de décision, notre responsabilité…

La nature ne doit pas être perçue comme une ennemie et ce genre d’aventure n’a rien à voir avec une confrontation : il ne faut pas aller contre, il faut aller avec. 

Vertige d’une navigation engagée

 Au 8ème jour le constat est plutôt positif : nous avons réussi à naviguer tous les jours depuis notre départ. Chaque coup de vent nous a cueilli dans nos dernières heures d’effort et grâce à une moyenne d’environ 50km/jour nous sommes aujourd’hui à deux pas du cap Nord-Ouest : le cap Wrath. Il marque le mi-parcours de notre périple. Mais ce soir, nous sommes sous la tente assez tôt, pluie et fort vent d’Est nous impose un peu de repos. 

9ème jour : Le coup de vent que l’on a pris hier sur la fin de notre navigation est passé. Ce matin, seule une petite brise de secteur Est persiste. Plus de pluie non plus mais un lever de soleil calme et reposant.

Nous plions le camp et embarquons avec prudence en attendant de découvrir ce que nous réserve la météo. Nous rasons la côte sous le vent pendant les deux premières heures. Vers le nord le ciel est encore bleu mais derrière nous tout est noir et l’obscurité gagne du terrain. Nous passons tranquillement le dernier petit cap, puis soudain il se dessine, majestueux, plein nord, à moins de 10 milles : le Cap Wrath. Une longue houle résiduelle de secteur ouest provoque de bons rouleaux sur la plage de Sandwood bay, le dernier endroit où il est possible de débarquer avant le cap. Au delà, ce ne sont que des falaises escarpées.

Déjà les nuages noirs sont sur nous, la pluie commence à tomber et le vent tourne sud. La brume nous masque maintenant le cap… il fait de plus en plus sombre, le vent forcit.

Faut-il tenter un débarquement sport sur cette dernière plage pour nous mettre à l’abri, ou faisons-nous le pari du cap dans des conditions incertaines ?

Je crois que l’engouement du défi autant que l’excitation de franchir dès aujourd’hui ce promontoire nous empêche de débarquer et puisque le vent et le courant sont avec nous, alors pourquoi pas ? Objectivement quels sont les risques ? Que le vent forcisse au-delà de 7 beaufort ? Fort peu probable !

Je réajuste mon buff jusque sous les yeux, je ferme la capuche sur laquelle la pluie résonne et nous prenons plein nord en direction du cap le plus exposé d’Ecosse. Le vent siffle dans nos oreilles et notre destination reste invisible à travers ce brouillard. Je regarde du coin de l’œil les derniers morceaux de plage sur lesquelles de gros rouleaux déroulent… Je connais ces moments de prise de décision, de choix, ces mélanges de peurs et d’incertitude, mais je sais aussi qu’en franchissant ses barrières psychologiques, cela me procure une exaltation sans pareil qui me fait grandir.

Mais est-ce bien raisonnable ? La question restera sans réponse… 

A droite, la houle s’écrase sur les falaises noires dans des artifices d’écume blanche. Tout le drame, toute la romance et toute l’émotion de l’Ecosse sont ici, autour de nous,… nous en faisons partie.

Le vent se met à forcir 25-30 nœuds et tente maintenant de nous arracher la pagaie des mains. On se surveille, on s’économise, il faut absolument garder du mou sous la pédale pour la suite, on ne sait pas ce qui nous attend. Le demi-tour est impossible…désormais, tout se passe devant nous !

Sur une rafale un peu plus longue que les autres, un regard, un signe… on s’est compris. Nous avons 100m à faire vers la droite pour nous protéger derrière un grand promontoire, une encoche dans la falaise qui va nous abriter du vent principal.

La houle se brise sur les parois de ce petit cirque de fortune mais ici nous sommes à l’abri… pour l’instant ! Nous sommes acculés à de vertigineuses falaises noires, et 50m au dehors les risées balayent une mer sauvage, en plein défoulement, en pleine vie !

Sentiment d’angoisse et d’inconfort, nous sommes comme pris entre le marteau et l’enclume : pas envie de bouger et en même temps on ne peut pas rester là !… Un peu d’eau, un fruit sec, il est urgent de repartir, à ce niveau d’engagement se sera le cap ou rien ! 

Quelques coups de pagaie nous relancent sur le champ de bataille. Face à nous le Cap se distingue de plus en plus clairement. Nous sommes engagés dans un ballet effréné et vertigineux avec la mer, des rafales plus grosses que les autres nous obligent à rester calé en appui sur la pagaie. La mer a grossi, chacun gère ses surfs avec attention, plusieurs dizaines de minutes s’enchaînent ainsi, nous sommes dedans, nous vivons au présent, pas le temps de penser à autre chose. Heureusement le Kialivak est un bon bateau, rapide, sain et fiable, complètement adapté à ce type de navigation.

Derrière le cap nous serons sous le vent et théoriquement à l’abri, mais tout n’est pas toujours aussi simple, les caps sont souvent truffés de hauts fonds provoquant des déferlantes et des mouvements d’eau plus violents. Dans notre situation nous ne pouvons pas nous permettre de nous écarter au large pour prendre le virage, la puissance du vent ne nous permettrait pas de remonter nous mettre à l’abri et la prochaine étape serait alors l’Islande !!!. D’autre part, si le vent d’Est qui souffle depuis quelques jours a gonflé la mer sur la côte nord alors ce qui nous attend derrière n’est pas brillant. Heureusement, nous sommes bientôt à l’étale de basse mer et le courant ne sera donc pas trop gênant.

On sera vite fixé, poussé vers l’inévitable, nous arrivons bientôt sur les falaises sombres du Cap Wrath. Les vagues sont plus grosses, plus verticales, nous refusons même certains surfs un peu trop creusés à notre goût. Notre attention est maximale. Nous ne sommes qu’à quelques dizaines de mètres du cap et le terrain semble plutôt conciliant,  pas de piège apparent. On va peut être même s’en sortir !!! Mes premières inquiétudes s’estompent. 

Proche de la falaise, le vent est compressé et subit une accélération sensible. C’est ici que tout se joue pour appréhender le virage, dans 15 secondes…, nous relevons  la  dérive, nos bateaux virent et se mettent rapidement à remonter au vent vers la droite, ainsi positionnés de travers nous n’avons plus que quelques coups de pagaie à donner pour passer sous le cap… mais soudainement le vent choisit d’abattre sa dernière carte, une rafale largement disproportionnée nous écrase sur l’eau, plus question de tenter d’avancer, couché contre le vent, le bateau sur la tranche et en appui sur la pagaie, l’enjeu est énorme, le moment presque irréel… cela va durer quelques secondes… Sentiments étranges, mélange de vertige, de peur, d’angoisse, contrebalancés par une certaine rage et agressivité de se battre jusqu’au bout…puis Eole va sembler reprendre son souffle, nous laissant passer…finalement ! 

Comme lui nous reprenons notre souffle sans trop pouvoir mesurer ce à quoi nous venons d’échapper. Dans la petite crique qui nous abrite le vent ne sait plus ou donner de la tête, heureusement, désorienté par les falaises, il avorte dans des tourbillons désespérés. Du haut de ses remparts, le phare nous regarde, imposant, sinistre, presque moralisateur… Un peu plus loin sur ce côté du Cap se cachent de nombreuses grottes et petits passages bien protégés qui nous permettent de remonter la côte nord sereinement bien à l’abri du vent. On se détend enfin un peu, d’ici on observe le large : moutonneux, noir, infini… !

A environ deux milles devant nous, une plage s’illumine sous un rayon de soleil providentiel, comme pour nous accueillir et nous rassurer. Ce pays nous veut du bien !

Cette grande plage sauvage est le premier endroit accostable de la côte nord et après ce que l’on vient de vivre, il n’est pas question de pousser plus loin aujourd’hui.

En arrière, une petite maison trône, solitaire, au milieu de la lande, c’est une « boothy », sorte de refuge ouvert au promeneur, on ne plantera pas la tente ce soir ! Un petit cours d’eau nous donnera aussi, comme d’habitude, toute l’eau douce nécessaire.

Il n’existe pas de plus bel endroit pour profiter sereinement de cette fin de journée si extraordinaire. Le soleil fait même quelques apparitions et comme le vent continue son travail, il nous débarrasse par la même occasion de ces sempiternelles nuées de moucherons qui nous excitent les oreilles chaque soir.

On décompresse. Il plane un sentiment de satisfaction…mais il nous faudra un certain temps pour prendre la mesure de ce qui vient de se passer aujourd’hui…à moins que ce ne fût qu’un rêve… !

Nous gardons néanmoins à l’esprit qu’il ne suffit pas de naviguer avec audace pour vivre une journée comme celle-ci. La mer est une grande dame indomptable. Rien ne sert de lutter. Il faut juste essayer de la comprendre, la lire, l’écouter, la sentir, se soumettre à ses caprices pour pouvoir se mouvoir dans ses bras et s’émerveiller de sa beauté.. L’orgueil n’a pas sa place ici, on peut juste la remercier de nous avoir laissé passer une fois encore. 

Les dents longues

Comme dans toute aventure de cette dimension, plus l’arrivée est proche et plus elle se fait attendre. Chaque mille grappillé a son importance psychologique. 

Après une progression laborieuse sur la côte nord, sous la pluie et le vent, et un passage du Cap Nord-Est un peu délicat, nous descendons rapidement vers le sud. Cette direction a déjà un petit goût de retour.

L’expression «avoir les dents longues » prendra toute sa signification entre Inverness et Fort William. La progression sur le canal Calédonien nous semblera une éternité, avec le portage de ses 13 écluses. La météo pluvieuse et surtout ce vent de face insistant qui ne nous lâchera pas jusqu’à l’arrivée, nous imposant son rythme décousu et nous mettant à l’affût de ses moindres faiblesses.

Samedi 20 septembre, nous sommes à Fort Augustus. Hier, une fenêtre météo nous a permis de traverser le Loch Ness d’une traite et ce matin 3 heures de pagaie nous mènent devant les portes du Loch Lochy, 15 km ouvert au vent d’ouest.

La frontière entre le canal et le Loch est saisissante. De l’autre côté tout moutonne, un vent établi de 25 nœuds nous interdit de réembarquer. A 60 km de la voiture nous n’avons plus qu’à patienter, il est 10h du matin. Une péniche pub-restaurant nous abrite quelques heures puis nous finissons par monter la tente, rentrer dans nos duvets et nous endormir profondément comme si nous en avions besoin. De toute façon la météo locale prévoit du vent fort pour les deux prochains jours, on peut donc commencer à patienter dès maintenant… ! Pas le moral.

18h00, on ouvre un œil, le calme environnant nous interpelle. Il ne bruine plus, le vent souffle encore mais il s’est sensiblement calmé. Un croisement de regard, un sourire, nous nous sommes compris, Patrick et moi sommes depuis le début branchés sur la même fréquence, pas de surprises entre nous. La décision de quitter les lieux est prise et 30mn plus tard nous donnons nos premiers coups de pagaie.

Nous partons pour 3 heures intensives, il faut exploiter cette accalmie. Au bout d’1 heure 30 la nuit nous a rattrapés.

La dernière demi-heure sera magique : plus de vent, le Loch est comme un miroir sur lequel on fait rapidement glisser le bateau. En face de nous, Vénus a décidé de nous accompagner. Même la lune s’est levée derrière nous et nous sourit. C’est un beau moment !

Décidément ce pays nous veut du bien ;…mais il faut se battre et ne rien lâcher ! Mais après tout n’est-ce pas là tout simplement le jeu de la vie…           


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