Les Glénans Par France Hallaire et Dominique Hottois

Les Glénans Par France Hallaire et Dominique Hottois

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Depuis une semaine le vent souffle. La tempête s’est déchaînée sur la Bretagne. On guette la météo : la randonnée prévue pour ce week-end de l’Ascension aux Glénan semble compromise. Pourtant Francis est confiant. Il connaît parfaitement les lieux et les conditions de navigation puisqu’il y a été encadrant pendant plusieurs années. Il espère bien mener la flottille jusqu’au fort Cigogne.

Mousterlin. Jeudi.

La pluie qui nous a accompagnés tout au long de la route s’est arrêtée. Plus de vent. Le ciel s’éclaircit. Régis prend le soleil, allongé sur le petit muret dominant la plage. Marée basse, l’air est saturé d’odeurs d’iode et d’algues.

Nous serons en autonomie sur l’île pendant quatre jours. Les vingt bateaux sont bien chargés : nourriture, duvets, popote, matériel de sécurité pour une randonnée au-delà de 5 milles d’un abri …

Petit brin de soleil durant le pique-nique. Il fait presque chaud et comme le départ de plage n’a pas l’air bien méchant, je laisse mon anorak dans mon caisson. Grosse erreur. Effectivement les vagues ne sont pas bien hautes, mais je réussis tout de même en les traversant à être trempée. Assez rapidement nous sommes ballottés par une houle de travers. La visière de ma casquette danse devant l’horizon, le bateau me semble peser des tonnes, le repas du midi se rappelle à mon bon souvenir et j’ai froid. C’est la première fois que je souffre du mal de mer en kayak. Sur un voilier, au moins, on peut s’allonger et attendre que ça passe. Le problème, ici, c’est qu’il faut continuer à pagayer même quand le corps devient mou comme une poupée de chiffon, qu’un grand blanc dans la tête vous donne l’impression de tomber en arrière et que le contenu de l’estomac semble vouloir à tout prix revenir au grand jour. Ils sont gentils dans les livres de kayak, ils disent que le mieux c’est de rejoindre une plage pour que le corps retrouve une certaine stabilité. On fait quoi quand on ne voit plus la terre autour de soi et que le groupe avance, la pagaie énergique, à quelques mètres devant vous ?

J’essaie tout de même d’apprécier les conditions : petit vent de force trois ou quatre, moutons épars. Les fous de bassan nous survolent. Les océanites tempête, tout noirs, croupions blancs, volètent au ras de l’eau à la façon des hirondelles ou des chauve-souris. Puis ils se posent tout près des bateaux.

Nous nous arrêtons sur l’île aux Moutons. Il était temps. Olivia commence elle aussi à souffrir des effets de la houle et il devenait pressant de poser le pied sur la terre ferme.

La pause est brève et nous avons juste le temps de découvrir la colonie de sternes caujek, le refuge de mer, le phare aux volets bleus.

La navigation reprend dans la brume. La visibilité est réduite. Rien à l’horizon. Si nous ratons les Glénan nous ne trouverons pas de terre avant un bon moment !

On cherche à deviner la terre, on scrute et on finit par imaginer des silhouettes là où il n’y a que des nuages. Il y a toujours un soulagement quand enfin les formes se précisent et que la terre se dessine. C’est un grand cordon dunaire blanc : l’île de Guiriden. Elle est peu perdue dans la brume mais  » demain le rideau se déchire  » a promis Loïc. On y croit. L’espoir fait vivre !

Puis la silhouette de Fort Cigogne, large rectangle gris massif, s’extirpe de la brume, lentement.

Les remparts et les alentours sont le domaine des goélands argentés. Des nids partout, posés à même le sol. Ils ne sont pas très élaborés, un vague tas d’algues séchées qui recueille trois gros œufs. C’est bon, ça pour une omelette ? Nous n’essaierons pas, les piqués sont dissuasifs. Nous tentons la méthode d’intimidation : ouvrir les bras brusquement pour avoir une envergure supérieure à la leur. Et c’est assez efficace. Mais quand nous nous approchons de deux petits tout duveteux nous sentons qu’il est temps de partir.

Nous avons beaucoup crapahuté sur les îles bretonnes avant de faire du bateau. Navette puis chaussures de marche, nous arpentions Ouessant, Sein et Bréhat. Au bonheur d’être loin de tout se mêlait parfois l’impression de tourner en rond dans un espace si restreint.

Ce pourrait être le cas, ici, à Fort Cigogne. Pour se dégourdir les jambes on fait le tour des lieux en dix minutes. Il ne reste plus qu’à le faire dans l’autre sens ! Pourtant nous ne sommes pas prisonniers de l’île, nous circulons dans l’archipel. La perception de l’espace devient complètement différente.

Ce ne sont plus des îlots séparés par des bras de mer.

Ils sont reliés par l’eau.

Vendredi.

Nous ne sommes pas pressés ce matin. On attend que  » ça  » se lève.  » Ça « , c’est la brume, la météo l’a dit, ça ne peut pas durer. Depuis Fort Cigogne, nous distinguons à peine, lors de trouées, l’île de Saint Nicolas. Et puis tandis que nous rejoignons Drenec, le monde s’élargit et nous découvrons où nous sommes ! Que c’est beau. Petit à petit les choses se remettent en perspective, c’est comme un puzzle ; l’îlot devant lequel nous sommes passés hier, le fort, Bananec, tous ces petits morceaux entrevus reprennent leur place dans le paysage. Au fil de la journée, la brume ne cessera de se lever puis de retomber. Les paysages apparaissent et disparaissent. On passe dans un endroit un jour puis le lendemain, on ne reconnaît rien. Le plus souvent en quelques minutes toutes les perspectives sont modifiées.

Et quand, à la tombée de la nuit, du haut de la terrasse, la brume se lèvera pour quelques heures, le paysage deviendra entier. Là, tout autour de Fort Cigogne, Saint Nicolas, Bananec, l’île du Loc’h, Penfret, Quighénec et même l’île aux Moutons au loin et la perche que nous avons vainement cherchée hier. L’impression d’être au milieu d’un petit monde perdu au large. Un archipel comme un mandala. Le fort Cigogne au milieu, rond, sur une île, ronde, et tout autour les différentes îles. D’où que l’on soit, on l’aperçoit, avec sa haute tour blanche. On en part, on tourne autour, on revient en son centre. Et dans la cour intérieure, ronde, notre tente.

Samedi (toujours sous la brume…).

C’est une curieuse chorégraphie qui suit le café du petit-déjeuner. On voit défiler, partir, revenir, se croiser, des porteurs d’eaux, qui, un seau d’un côté, un seau de l’autre côté, cheminent du fort, à la mer, aux toilettes ! Le système de chasse d’eau est rudimentaire. Difficile d’être discret quant à ses besoins naturels !

En face de Penfret, les îlots sont noirs de moules. Elles sont petites et difficiles d’accès. Un peu plus haut le rocher est couvert de pousse-pieds. Des mollusques aussi laids que prisés. Loïc ne résiste pas et aborde. Je comprends enfin l’utilité du couteau en kayak ! Je m’escrime à arracher quelques bestiaux, en laissant, la plupart du temps, la partie comestible sur le caillou. Nous repartons les poches du gilet pleines, pour le repas du soir.

Grande tablée dans le réfectoire du fort. Un feu de bois flotté tente de réchauffer un air bien humide, de sécher les duvets qui n’ont pas résisté au transport sur le pont du kayak. Les petits plats mijotent sur les réchauds. La convivialité s’installe. Et la soirée finit en veillée, guitare et chants de marins. Le lieu s’y prête !

Dimanche.

Cap sur l’île aux Moutons. Encore une fois c’est une navigation au compas. C’est toujours à la fois impressionnant et magique. On est au milieu de rien. Il faut avoir une confiance totale en ce petit globe posé sur le pont pour croire qu’il va effectivement nous emmener là où on veut. Nous finissons par distinguer les reliefs de récifs. Un cap un peu trop à l’Est. Mais quand on regarde sur la carte cette petite tache blanche sur un grand fond bleu, on se dit que ce n’est pas si mal !

Je pagaie comme je marche. Avec ce même besoin compulsif d’explorer, de sillonner, d’arpenter, d’aller rejoindre ce que je vois. Comme si j’élargissais mon espace. C’est cette même pulsion brûlante qui me pousse à grimper sur les montagnes qui dominent la vallée et à rejoindre une île.

Quand j’étais petite, que j’allais à la plage, la mer était une frontière. Je longeais la grève. Je ne pouvais m’empêcher de me déchausser, d’avancer dans l’eau, de m’immerger. Mais je ne la repoussais que de quelques mètres.

Je monte dans mon kayak. C’est le prolongement de mon corps, et il l’épouse si bien comme le ferait une bonne paire de chaussures de montagne !

Plus de frontière.

Mer et terre forment une continuité. Le monde s’agrandit.

C’est en soi une réelle jubilation.

France

Que dire des impressions laissées par cet archipel ?

La première, la plus forte, est l’envie d’y retourner un jour. Je me plais à penser que j’aurai du temps, beaucoup de temps.

J’aurai alors tout à loisir de goûter chacune des îles, une à une, essayer de capter sa personnalité, saisir ce qui la différencie de ses sœurs. Arpenter le lac de l’île du Loch, petite mer posée sur l’île posée dans la grande mer, et apprendre ses rives par cœur. Je prendrai le temps qu’il faut pour voir les variations de la couleur du sable de Guiriden sous le mouvement des nuages.

À moins d’avoir la chance d’aller sur la planète du petit prince, il n’y a guère d’autres endroits que les îles où l’on puisse s’imprégner d’un monde clos, dans ce qu’il peut avoir de plus secret. Il y a tant de fois où je trouve que le kayak, la marche à pied, c’est encore bien trop rapide. Envie de poser, humer l’air, se frotter au granit, aller au fond des choses, regarder, et non pas voir. Une découverte de l’archipel à ce rythme nécessiterait des semaines, des mois ?.

Je passerai alors à l’étape suivante, tenter de déceler les liens qui unissent chacun de ces mondes en réduction, écouter leur histoire, retrouver ce qui fait leur unité, comme les continents le font sur la planète. Essayer de comprendre la place occupée par chaque îlot, comment il se définit par rapport aux autres, comment l’archipel se définit par rapport au continent.

La deuxième impression, est celle laissée par la brume presque omniprésente. Jamais les distances ne m’ont paru si élastiques. La brume tombe, et l’îlot d’en face, qui paraissait si proche, disparaît. L’île sur laquelle je me trouve devient vaisseau perdu dans la brume. Les autres îles, et leur présence rassurante, ne sont plus là. Les repères se perdent, la mer et la brume se confondent, tissant entre elles une immensité éphémère. La brume se lève, et l’archipel se reconstitue, perd son mystère, il redevient tangible, humain, frustrant l’imagination qui s’était installée.

[GL] [SS]


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